Faire beaucoup avec peu n’est le fait que des créateurs conséquents. François Bordes et Ann Loubert le prouvent. Les poèmes du premier et les dessins de la seconde ouvrent des fondrières où la lumière s’évade plutôt que s’amenuiser. La plasticienne dessine ce qui ne se dit pas et le poète montre ce que l’image ne peut « voir ».Croisées, les deux œuvres ne cherchent pas l’éclaircissement : elles témoignent de la complexité des formes de l’existence à travers des signes et des signalétiques qui surplombent l’abstrait et le concret. Des réseaux de déliaisons permettent de se perdre et de se retrouver dans un jeu de piste où la femme est à la fois introuvable tout en permettant qu’en l’homme comme en l’humus repoussent ses racines.
La « cosa » dont il est question ici aussi mentale qu’affective, présence qu’absence, paysagère qu’intérieure, mystique que sensuelle, primitive que « futuriste ». Des oublis ou pertes aux reprises, états d’âme et de vie jaillissent à coups de biffures dans une histoire de désir et d’échec (relatif).
Il y a là peu de matière mais pas de vide. Les traits ne bouchent pas les portes de l’action pure. Et dans les mots la conscience abasourdie restent une grâce noire et une coulée de sève sur le blanc. L’ensemble propose un état vibratoire et un vertige. Ce qu’Ann Loubert maintient, François Bordes le déséquilibre. L’inverse est vrai aussi. Et le livre avance sans répit ni repos. L’idée de trancher, de séparer ne revient pas. L’idée d’union non plus.
L’image est arrachée à elle-même dans une patience piaffante. Et le texte se dégage de toute passivité. D’où la brûlure et la cendre d’un tel travail. Entre sobriété et intransigeance, les créateurs créent des avancées, des chutes et une remontée. Dessin et texte soulèvent le monde, le recommencent dans un minimalisme particulier : celui du constat mais aussi de l’attente du plus présent des avenirs.
C’est pourquoi, s’il existe un mourir dans cette approche, l’espace y demeure sidéral et sidérant. S’y éprouve le moment fragile où l’être retrouve son langage primitif.
jean-paul gavard-perret.
François Bordes & Ann Loubert, Cosa, L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2017, 80 p. — 15,00 €.