Le lyrisme mutant de l’abstraction géométrique
Critique d’art, Maria Tyl a déjà publié cette année un livre important, Mai-68 : Révolution symbolique ou inertie institutionnelle ? L’enseignement artistique à l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts dans le tourment aux éditions du Littéraire. L’auteure a montré comment l’École des Beaux-Arts, vaisseau amiral de l’art pendant trois siècles, s’est émancipée comme les élèves vis-à-vis des professeurs, leurs insuffisances et leurs guéguerres en un mixage d’ordre et un « beau » bordel. Les étudiants imposèrent des ateliers populaires dans l’institution canonique.
Dans cette évolution mouvementée, « L’ENSBA est, aujourd’hui encore, l’une des dernières écoles où les fondements de l’art et les origines de l’identité artistique sont bien présents, ne serait-ce que sous la forme d’une idée, d’une asymptote, d’un « état de la nature » à jamais perdu mais qui peut toujours constituer un point de repère pour un curieux. » note l’analyste pertinente. Pour son travail sur L’art abstrait géométrique, elle sort de l’enquête pour un travail de synthèse complété d’annexes conséquentes. Si bien qu’un tel livre fera date par son panorama adossé à la collection Kouro.
C’est, comme beaucoup d’initiatives esthétiques, au début du siècle dernier que tout commença. Principalement avec Auguste Herbin que le Polonais Kouro fut le premier à défendre. De nombreux peintre allaient s’engouffrer dans ce domaine immense : Mondrian, Kandinski, Vilmos, Schwiiters, Seuphor entre autres. Plusieurs mouvement y sont associés — tels que les groupes « Cercle et Carré », « L’art concret », « Abstraction Création » — entre les deux guerres. Mais, pour l’auteur, Herbin reste celui qui formalisa l’essentiel de ce mouvement dont Kouro sera jusqu’à sa mort le plus fidèle défenseur et à sa manière l’animateur plus qu’implicite.
L’auteure possède le mérite de faire un tour circonstancié de l’histoire du genre et de la collection Kouro. Elle met en évidence comment Herbin, quoique méconnu, demeure celui qui peut être considéré comme le théoricien autant que le praticien de cette immense mouvance qui ne cesse de nourrir l’art qui trouva chez les abstracteurs zurichois une première levée. MariaTyl présente la prodigieuse nomenclature de tous ceux qui peuvent se rattacher au genre selon des options très différentes en peinture comme en sculpture : les Delaunay, Léger, Moholy-Nagy, Dexel, Valmier, Béothy, Folmer et bien d’autres sont là. Ils prouvent que l’abstraction géométrique au-delà de sa rigueur permet un lyrisme mutant, sidérant.
Perceptions et sensations nouvelles sont portées par ce mouvement dont les langages deviennent aussi importants que la traversée elle-même de l’époque telle que Kouro l’aura défendue. Au-delà de l’exposition dont le livre est la conséquence, son auteure pose aussi la question du volume, de la cristallisation, de solidification selon divers jeux de construction que cet art inventa par divers types de modifications et d’alternances en des formules toujours précises.
jean-paul gavard-perret
Maria Tyl, Art Abstrait géométrique — autour de la collection Kouro, Editions Galerie le Minotaure, Galerie Jean-François Cazeau et galerie Alain le Gaillard, 2017.
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