Gilles Leroy, Alabama song

Gilles Leroy pro­pose une bio­gra­phie roman­cée de Zelda Fitz­ge­rald, l’épouse et muse de l’auteur de Tendre est la nuit

 

Avoir autour de soi des amis chro­ni­queurs a tôt fait de sus­ci­ter des voca­tions… Mathilde Piton, déjà, avait été inci­tée à nous rejoindre par Bap­tiste Fillon. C’est à son tour désor­mais de jouer le trait d’union : grâce à elle Léo­nore Dau­zier frappe à notre porte, avec cet article pré­cis et clair, qui sait aller à l’essentiel. Puisse-t-elle deve­nir une col­la­bo­ra­trice régu­lière…
La rédaction.

Il est cer­taines figures qui semblent inat­tei­gnables, tant la force du mythe, le poids de la légende, est pesant. Leur puis­sance et leur mys­tère empêche toute ana­lyse, rend caduque la moindre inter­pré­ta­tion.
En se pen­chant sur le cas de Zelda Fitz­ge­rald née Sayre, épouse schi­zo­phrène et muse de l’auteur instable et génial de Tendre est la nuit, le roman­cier Gilles Leroy s’est atta­qué dans son der­nier livre paru au Mer­cure de France, Ala­bama Song, à une de ces ombres, immense et tragique.

Véri­table icône de la lit­té­ra­ture amé­ri­caine, la belle du Sud, fille du juge de Mont­go­mery dans l’Alabama, pro­pul­sée trop tôt sous les pro­jec­teurs, a ins­crit dans sa tra­jec­toire et dans sa chair la folie de son époque, incar­nant, au côté de son mari, le per­son­nage d’un roman qui ne cesse aujourd’hui de fasciner.

La ten­ta­tive était périlleuse et Gilles Leroy aurait pu se lais­ser étouf­fer par son sujet. Mais son choix de ne pas lever le voile, de don­ner de Zelda sa propre inter­pré­ta­tion en se glis­sant dans sa peau pour lais­ser entendre la voix poi­gnante d’une femme épui­sée par les excès et les séjours en hôpi­taux psy­chia­triques, le sauve des écueils qui attendent l’écrivain devant un tel sujet. La jeune femme pré­ma­tu­ré­ment usée revient, avant de se reti­rer défi­ni­ti­ve­ment dans l’ombre, sur ses années de tour­billon, entre les États-Unis et l’Europe, ainsi que sur sa rela­tion conflic­tuelle et vio­lente avec un mari qu’elle adore et qu’elle déteste, qui la vam­pi­rise et ne peut, en fait, vivre sans elle.

En don­nant sa vision de ce couple mau­dit, Leroy choi­sit ; et son por­trait en creux de Fitz­ge­rald est sévère, presque à charge. Il fait de Zelda l’âme véri­table du génie adulé par les foules puis trop vite rejeté, autant par son influence sur leur exis­tence, qui donne au jeune écri­vain son maté­riau, que par ses textes, sou­vent pillés et dont on lui vole par­fois même la pater­nité.
D’aucuns pour­raient s’offenser d’un tel parti pris, mais ce juge­ment n’est pas celui d’un his­to­rien, il est celui du roman­cier uti­li­sant la matière qui lui est offerte pour construire sa propre œuvre, mani­pu­lant les faits, les situa­tions et les per­son­nages pour don­ner nais­sance à un por­trait de femme poi­gnant. Par là, il nous offre un texte pro­fond qui arrive à exis­ter hors de l’ombre des deux géants qui en sont les inspirateurs.

Si on peut d’abord appré­hen­der cette lec­ture comme un jeu de piste, essayant de démê­ler la réa­lité de la fic­tion on se laisse vite empor­ter par la Zelda de Gilles Leroy.
On retien­dra tout par­ti­cu­liè­re­ment les der­nières pages, où l’auteur rentre fina­le­ment dans sa propre peau après avoir habité le corps exte­nué de la flap­per mythique des années folles, qui nous donnent un aperçu de son voyage sur les traces de la fille du juge Sayer. Il montre en quelques lignes à quel point des des­tins éloi­gnés dans l’espace et dans le temps peuvent s’entremêler et se répondre à tra­vers le roman, qui trouve sa vérité jus­te­ment dans son inexac­ti­tude.

NdR : Le lundi 5 novembre, ce roman a été cou­ronné Prix Gon­court 2007.

l. dau­zier

   
 

 Gilles Leroy, Ala­bama song, Mer­cure de France coll. “Bleue”, août 2007, 189 p. — 15,00 €.

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