Jean-Claude Lebensztejn, pour chacun de ses objets d’étude, propose un sujet dissident. Cela forcément lui évite de se trouver enfermé dans des schémas. Avec L’Art de la tache, il en avait fait la preuve et d’une certaines manière il reprend la tache et la tâche où il les avait laissées. Précisons à ceux qui n’aiment pas ce qui appartient aux besoins fondamentaux de passer leur chemin. Les évanescences de la Renaissance sont loin. Dans ce livre, la « beauté » des situations est due en partie au hasard mais en partie seulement. Le fluide de l’animal haletant qu’on appelle humain appartient à une nécessaire évacuation due à son métabolisme.
L’auteur ne se permet pas de faire disparaître ce que la pudeur humaine se plaît généralement à cacher et qui tient parfois d’un pénible tourment comme d’un soulagement. Selon diverses positions, sous l’effet de boissons ou d’absence de certaines émotions, bref de boire et de déboires l’auteur distille divers types « douches dorées ». Par exemple, après une incursion chez Sophie Calle, il rameute photo célèbre d’Andres Serrano — dans la série “A History of Sex” – qui fit scandale : un homme reçoit dans la bouche l’urine d’un sexe féminin. Il y a aussi Gilles Berquet saisissant dans une de ses photographies une femme élégamment gantée se fendant d’un besoin naturel. Et l’auteur se permet tout autant plusieurs déclinaisons sur des angelots candides et joyeux. Parce que, pisseurs, ils prouvent que les entités ailées ont un sexe.
Des fesses nues de Bosch, à Rabelais et son Gargantua urineur depuis une des tours de Notre Dame pour inonder Paris, de l’urinoir de Duchamp (signé « R. Mutt » (à savoir Fontaine) souillé par l’iconoclaste Pierre Pinoncelli (Pi-Pi) en passant par le Manneken-Pis « une espèce de Joconde belge » et ses divers détournements, l’art ne s’éloigne plus de la nature, il y revient En prolongeant Les postulats de pissats en diverses manières, l’ensemble permet de dégager des pistes inédites d’explorations selon une thématique pour le moins décriée.
Des ondulations inédites parcourent ici l’histoire de l’art et de la littérature dans un mouvement pendulaire et selon des visions d’autorité dans leurs factures comme leur argument. L’essence de la peinture retourne à celle de la nature, en ses grandes lois des nécessités brutes, primitives, animales. Il n’est pas question de faire abstrait ou figuratif, mais de chercher dans ces « choses-là » toutes les réalités pour essayer d’accéder à un universel non édulcoré.
L’urine n’offre pas seulement un naturalisme particulier dans des positions qui n’inquiètent que les coincés. L’oiseau laisse ses empreintes pour réconcilier l’art et la vie, l’homme et la nature. La création ne s’interdit pas une figuration particulière. Son gestualisme tient dans le sujet. Une précipitation spécifique suit son cours pour faire le lit ou la rigole de l’homme dans l’univers.
La miction faisant émission et immixtion, il arrive que l’arroseur soit arrosé mais qu’importe. Le fluide est là. Jean-Claude Lebensztejn nous en abreuve avec intelligence.
jean-paul gavard-perret
Jean-Claude Lebensztejn, Figures pissantes, 1280–2014, Éditions Macula, 2017, 168 p. — 26,00 €.