Les poèmes d’Amina Saïd témoignent d’une sensualité et d’une « mystique » très particulières en des cérémoniels qui permettent à la poétesse de découper des temps à la fois d’admiration et de réflexion. Ils sont ponctués des peintures qui chevauchent figuration et abstraction dans le bain de jouvence des couleurs. L’auteure saisit le monde sans un lyrisme superfétatoire. Tout est ramené à une vie intérieure où « l’écho s’ajuste au silence / et c’est l’aujourd’hui du poème ». Mais il prend valeur d’éternité là où l’auteure évite toute culture de l’ego en allant du particulier au général afin de mettre à jour des parts d’inconnu « en nos paysages intimes » qui ignorent la paix.
Ici, la poésie refuse la magie : « nous n’avons pas la réponse / aux questions que pose le silence ». Ce qui n’empêche pas – au contraire même – de s’arrimer à ce qui nous tient ici même, ici bas. Si bien que le monde intérieur si souvent occulté trouve ici une renaissance. D’où la force de textes qui jouent du vide et du plein.
L’instantané de chaque fragment est une lueur. Le lecteur reste dans sa clarté avec juste ce qu’il faut de sens pour ne pas se perdre. Existe une sidération particulière de relances en relances contre la solitude où tout est parti et où tout revient. Le poème en ce qu’il rameute se tend, se respire pour que l’être s’accroche comme à l’intérieur de lui-même « appuyé sur les jambes du temps ». La maison de l’être retrouve peu à peu son adresse à mesure que l’être — grâce aux mots et la réflexion de la créatrice — se creuse et en même temps se remplit.
L’image jaillit uniquement lorsqu’elle est nécessaire : mais la plupart du temps, le texte est direct. Les mains oublient plus qu’elles sont mains dès qu’elles s’accordent à d’autres dans cet appel à l’espoir au sein de la traversée et la fragilité terrestre. L’auteure en approfondit l’étreinte en une suite de pavanes qui vont à l’essentiel.
Il n’y a pas de bouquet de fleurs dans la maison de l’être. Mais la beauté mystérieuse jaillit là où solitude ne prend jamais fin. Il convient d’accepter le défi que propose l’auteure. L’être émerge de l’obscurité dont il est souvent porteur. Son livre trahit une essence profondément troublante, elle monte des profondeurs vers la surface. Il devient une suite d’éclats qui touchent à la nature fugace de la vie, à ce temps qui s’écoule, inflexible, vers la fin.
Amina Saïd, depuis les eaux sombres de l’incertitude, ouvre donc à une transformation radicale à travers son processus de création. Les peintures le traduisent en une forme de recherche sensible dont le sujet traverse l’orient et l’occident, le sud et le nord. Existe chez les deux créateurs la volonté de remplir le vide en jouissant de tout ce qui est, comme un moyen de reprendre lien avec la vie.
jean-paul gavard-perret
Amina Saïd, Chroniques des matins hantés, peintures d’Ahmed Ben Dhiab, Editions du Petit Véhicule, coll. « La galerie de l’or du temps », Nantes, 2017, 98 p. — 25,00 €.