Olivier Kaeppelin une fois de plus fait preuve d’ambition par ses choix. Il présente celui qui reste l’alter ego des grands artistes allemands de la fin du siècle dernier ou du nouveau millénaire : Georg Baselitz, Markus Lüpertz, Sigmar Polke, Jörg Immendorff. Né en 1939 à Dresde, il s’est installé dans l’ex R.F.A en 1980 près de Cologne et son travail est marqué métaphoriquement par le coupure de l’Allemagne. Kaeppelin a choisi un parti pris capital : peintures, sculptures, dessins, estampes et livres d’artistes sont présentés de manière « temporelle » afin de mettre en exergue les différents moments esthétiques de l’œuvre et les raisons existentielles de cette évolution.
L’artiste trouve naturellement sa place dans la Fondation vouée au « culte » nécessaire à Miro et Giacometti dont A. R. Penck se sent proche : le premier pour l’envol de ses dessins, le second pour la puissance existentielle et atemporelle de la vision de l’homme. Proche — du moins en apparence — de l’art primitif ou brut, ce travail annonce l’art du graffiti et se rapproche mais avec plus de profondeur philosophique d’un Keith Haring ou un Jean-Michel Basquiat. Le langage de A.R. Penck est à la fois plus profond et on dira même « sérieux » mais néanmoins jubilatoire là où la profondeur humaine est soumise à une chorégraphie. Elle mêle le cataclysme et une certaine jouissance. Le tout dans la recherche d’un espace que l’œuvre ouvre et explore.
Le privilège de l’art du créateur tient à la possibilité d’accorder au regard le moyen de trahir ses illusions d’optique. Le pouls de l’Histoire n’est jamais loin. Jaillit une force directe du marquage de visages et des silhouettes Ils semblent ignorer l’usure des ans et brouillent les temps. Si bien que le regardeur devient plus jeune face à des visages qui prouvent que le naturalisme en art n’a rien de solide et convaincant. L’effet dramatique de l’art passe par une autre déclinaison. Ce qui n’empêche pas de recueillir en chaque être (ou son fragment) une énergie.
Elle se construit par l’urgence que l’œuvre porte en elle avec la violence faussement caricaturale ou primitive des crayonnages et des peintures. Le corps est pris ou agité par un ensemble de traits basiques. Verticalité, immobilité éclatent dans une densité et un charivari de directions et d’opposition. L’œuvre crée une tension forte, loin de la psychologie banale. Elle est remplacée par une caractérisation abrupte de l’homme. De l’ensemble surgit une maison de l’être bien plus complexe qu’il n’y paraît.
De telles « réductions » corporelles fascinent par ce qu’elles irradient grâce à la peinture et au mystère de l’aura qu’elle dégage non sans ironie acerbe. A ce titre, il existe toujours chez A. R. Penck une volonté implicite de changer le monde, de s’opposer à tout nihilisme sans pour autant oublier les affres du passé. Formes et couleurs marquent une volonté de présence contre vents et marées de l’Histoire. Si bien que la douleur se mêle à la joie.
D’où le désir de mettre en forme, de créer par delà l’état tragique dionysien mais en en tenant compte. Se découvre une profondeur d’être et de vie dans un travail qui ne cesse de « gratter » la même veine. Par effet de plat, de la peinture surgit une vocation perspectiviste là où le corps devient l’espoir d’une sur-vie ici même, un surcroît d’être. La peinture reste un mouvement transformationnel et opératoire. Elle rejoint les « rêveries de la volonté » que Bachelard appelait de ses vœux.
jean-paul gavard-perret
A.R. Penck, Rites de passage, Fondation Maeght, St Paul de Vence, du 18 mars au 18 juin 2017,
Catalogue avec des textes de A.R. Penck, Danièle Cohn, Olivier Kaeppelin et Adrien Maeght.