Le « tout pour la tripe » de Rabelais semble aller comme un gant (ou une panse) à Belly. Il est gargantuesque mais selon un mouvement qui ne peut le limiter à l’image du jouisseur avalant. Il doit composer avec tout ce qui reste, l’entoure, l’accompagne et qui fait de lui un concerné consterné. Mais sa position n’est pas seulement personnelle et donc forcément atrabilaire. Ardenne fait du héros de sa fable en “KK lie” un blizzard (vous avez dit blizzard) qui souffle sur le monde pour transformer la farce intime en pamphlet politique.
D’un corps à l’autre, le mirage est trompeur : Ardenne faufile des dunes de nombril à la campagne politique si bien que le rose pastel du ventre en s’ouvrant prend des couleurs de foirades. Preuve que son cogito se transforme en un « je panse donc je suis ». La ventrie est potente et n’est là que pour servir ses propres appétits. Cerveau lent, sexe, muscle, yeux et membres se conjuguent afin que le ventre soit unique par le multiple. Ils servent la « gastrocause », en deviennent les soldats, les vassaux, la piétaille. Belly est donc à sa manière une nouvelle version d’Ubu. Ce qui est divisé, il l’annexe à son profit et discrimine à souhait pour mieux asservir à ses envies et sa concupiscence.
Cela appelle à une raie-volution là où tout pourrait se transformer en « huile » de vidange. Mais il y a encore loin du pot au sphincter et ses fines brumes azotées. Le ventre devient ainsi l’immense métaphore gonflée à souhait de l’épopée aussi inhumaine qu’humaine. Belly reste le porc épique, le maître absolu. La langue de l’auteur lui donne sa puissance. Elle montre ici son fonctionnement, son capital symbolique. S’y sélectionnent les abattis auxquels le pouvoir impose une hégémonie qui les tient à l’écart tout en les mettant à son service.
Ardenne franchit la ligne rouge par sa sotie magistrale. Rien ne plus vivant que cette farce aussi terrible que vivante. Au cœur de l’idéologie, elle la fait éclater. Et ce, au pays qui se veut celui des droits de l’homme et de l’universalisme. Mais, de fait, l’auteur prouve que la France à sa manière n’est pas mieux que bien des Etats estimés sans morale.
Le ventre devient l’appareil d’Etat avec ses normes « énhaurmes » acceptées voire renforcées par les usagers, en dépit de leurs discriminations subies et corrélées à des critères injustes. Les « membres » n’ont plus le pouvoir de renverser celui dont il serve l’appétit et la glossolalie. Il trouve finalement cela normal, ils ne protestent plus. L’omnipotence est acceptée par les dominants et ils y contribuent. Au gros ventre de la première répond le gros dos des seconds.
jean-paul gavard-perret
Paul Ardenne, Belly le ventre, Editions La Muette, Le Bord de l’eau, 2017, 352 p. — 28,00 €.
Pingback: Belly le Ventre sur le littéraire | Le blog de Paul Ardenne