Paul Ardenne, Belly le ventre

Messer Gas­ter

Le « tout pour la tripe » de Rabe­lais semble aller comme un gant (ou une panse) à Belly. Il est gar­gan­tuesque mais selon un mou­ve­ment qui ne peut le limi­ter à l’image du jouis­seur ava­lant. Il doit com­po­ser avec tout ce qui reste, l’entoure, l’accompagne et qui fait de lui un concerné consterné. Mais sa posi­tion n’est pas seule­ment per­son­nelle et donc for­cé­ment atra­bi­laire. Ardenne fait du héros de sa fable en KK lie” un bliz­zard (vous avez dit bliz­zard) qui souffle sur le monde pour trans­for­mer la farce intime en pam­phlet poli­tique.
D’un corps à l’autre, le mirage est trom­peur : Ardenne fau­file des dunes de nom­bril à la cam­pagne poli­tique si bien que le rose pas­tel du ventre en s’ouvrant prend des cou­leurs de foi­rades. Preuve que son cogito se trans­forme en un « je panse donc je suis ». La ven­trie est potente et n’est là que pour ser­vir ses propres appé­tits. Cer­veau lent, sexe, muscle, yeux et membres se conjuguent afin que le ventre soit unique par le mul­tiple. Ils servent la « gas­tro­cause », en deviennent les sol­dats, les vas­saux, la pié­taille. Belly est donc à sa manière une nou­velle ver­sion d’Ubu. Ce qui est divisé, il l’annexe à son pro­fit et dis­cri­mine à sou­hait pour mieux asser­vir à ses envies et sa concupiscence.

Cela appelle à une raie-volution là où tout pour­rait se trans­for­mer en « huile » de vidange. Mais il y a encore loin du pot au sphinc­ter et ses fines brumes azo­tées. Le ventre devient ainsi l’immense méta­phore gon­flée à sou­hait de l’épopée aussi inhu­maine qu’humaine. Belly reste le porc épique, le maître absolu. La langue de l’auteur lui donne sa puis­sance. Elle montre ici son fonc­tion­ne­ment, son capi­tal sym­bo­lique. S’y sélec­tionnent les abat­tis aux­quels le pou­voir impose une hégé­mo­nie qui les tient à l’écart tout en les met­tant à son ser­vice.
Ardenne fran­chit la ligne rouge par sa sotie magis­trale. Rien ne plus vivant que cette farce aussi ter­rible que vivante. Au cœur de l’idéologie, elle la fait écla­ter. Et ce, au pays qui se veut celui des droits de l’homme et de l’universalisme. Mais, de fait, l’auteur prouve que la France à sa manière n’est pas mieux que bien des Etats esti­més sans morale.

Le ventre devient l’appareil d’Etat avec ses normes « énhaurmes » accep­tées voire ren­for­cées par les usa­gers, en dépit de leurs dis­cri­mi­na­tions subies et cor­ré­lées à des cri­tères injustes. Les « membres » n’ont plus le pou­voir de ren­ver­ser celui dont il serve l’appétit et la glos­so­la­lie. Il trouve fina­le­ment cela nor­mal, ils ne pro­testent plus. L’omnipotence est accep­tée par les domi­nants et ils y contri­buent. Au gros ventre de la pre­mière répond le gros dos des seconds.

jean-paul gavard-perret

Paul Ardenne, Belly le ventre, Edi­tions La Muette, Le Bord de l’eau, 2017, 352 p. — 28,00 €.

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