La guerre froide franco-anglaise en Syrie
C’est un livre capital que celui écrit par l’historien britannique James Barr, traduit aux éditions Perrin. En effet, cette étude très minutieuse apporte un éclairage nouveau sur les relations tendues entre la France et le Royaume-Uni au Levant.
Derrière l’Entente cordiale, se déploie au fil de la Première Guerre mondiale entre les deux pays une compétition sourde, parfois éclatante. Son enjeu ? La domination britannique sur le Proche Orient, Londres désirant protéger Suez et contrôler le pétrole d’Irak. James Barr décrit avec soin les arrière-pensées qui président aux fameux accords Sykes-Picot qui tracent une « ligne dans le désert » servant à partager le butin turc entre Français et Britanniques. Tout est alors bon pour les seconds pour écarter les premiers et revenir sur de trop larges concessions : l’appui aux rêves d’unité arabe, le soutien au mouvement sioniste, la conquête militaire du général Allenby.
Durant l’entre-deux guerres, la méfiance demeure. Quand les uns soutiennent la révolte druze contre les Français, les autres apportent une aide à l’insurrection arabe contre les Anglais. Un prêté pour un rendu en quelque sorte. Il ressort du livre que le Royaume-Uni n’hésite pas à instrumentaliser, jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, les principes d’auto-détermination au profit des Arabes pour mieux se présenter comme leur protecteur, voire pour chasser les Français du Levant.
C’est très net dans la tortueuse politique anglaise en Syrie face aux prétentions d’un De Gaulle plus intransigeant que jamais. Une nouvelle fois, les Anglais font preuve de leur froide détermination quand il s’agit de protéger leurs intérêts, défendant en 1943 l’idée d’une fédération arabe sur les ruines du mandat français pour mieux faire accepter la présence juive en Palestine – point d’appui indispensable si la Couronne veut protéger Suez.
Les Français – et c’est là un apport majeur du livre – se vengent en apportant un appui très fort au mouvement sioniste à partir de 1945. Outre des transferts d’argent et d’armes, les autorités de Paris laissent passer les Juifs en partance vers la Palestine, nouent des liens avec les groupes indépendantistes sionistes qui tuent des Britanniques jusqu’à tremper dans l’assassinat de Lord Moyne, haut commissaire anglais en Egypte.
On notera que le général de Gaulle, qui plus tard pourfendra Israël, ne voit en 1945 aucun inconvénient à damer le pion à ses chers amis anglais.
Superbement documenté, très bien écrit, ce livre est une somme d’érudition sur une des raisons des drames du Moyen Orient.
frederic le moal
James Barr, Une ligne dans le sable. Le conflit franco-britannique qui façonna le Moyen-Orient, Perrin, janvier 2017, 509 p. — 25,00 €.