Marguerite Yourcenar est considérée comme une dramaturge secondaire. Six de ses pièces furent néanmoins jouées. Elle en préfaça chacune par ce qu’elle nomma un « examen » : « Electre ou la chute des masques » n’échappe pas à la règle. Et dans Carnet de note d’Électre, elle précise que « les masques grecs offrent encore au poète moderne le maximum de commodité et de prestige ( …) car ils ont cessé d’être d’aucun temps. Chacun les porte à sa guise; chacun s’arrange pour verser le plus possible de soi dans ces moules éternels ».
Le texte publié par Fata Morgana est quelque peu différent de celui publié en 1954. Y sont insérés des corrections ou modifications notées de sa main dans son exemplaire de la revue du « Théâtre de France » où le texte avait paru. « L’examen »de cette pièce fournit donc une belle piste de lecture. Marguerite Yourcenar écarte certaines interprétations pour dire que la force de l’histoire repose sur la mobilisation de deux thèmes : « l’idée de l’immortalité unie à celle d’un dieu sauveur triomphant de la mort, et l’idée du salut obtenu par le sacrifice volontaire de l’autre ». Cela produit pour elle — comme pour Cocteau, Giraudoux et quelques autres dramaturges de l’entre-deux-guerres — une fable toujours à réinterpréter et une possibilité ouverte à chaque créateur. Il peut avoir son Electre sans forcément rendre à César ce qui lui appartient.
Yourcenar ne s’en prive pas et propose ici son hybridation du mythe voire sa transgression en passant ici le mythe odysséen dans l’écriture dramatique. Sa pièce n’est pas sans rappeler l’esthétique classique. Elle use de la narration et concentre son action autour d’une crise. Les événements à dimension spectaculaire se déroulent hors plateau.
Le texte prouve qu’un des axes de ce théâtre consiste à passer d’une forme de réalisme à l’allégorie, du monde réel au monde onirique. Et Yourcenar de rappeler pertinemment une évidence : le théâtre n’a pas pour objet que la représentation. Il va vers l’intériorisation de l’action. Celle-ci se déplace vers un certain type de crise invisible habituellement. Le roman chez la créatrice lui donnera toute sa force.
jean-paul gavard-perret
Marguerite Yourcenar, Carnet de notes d’Électre ,Texte établi et présenté par Achmy Halley, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2017, 40 p.