Avec Shi, qui représente le signe de la mort, Zidrou propose un premier cycle en quatre tomes avec un quatrième de couverture minimaliste : “Deux femmes contre un Empire.”. On suppose très vite, après une entrée en matière attractive mais déroutante, que les deux femmes en question sont les héroïnes de ce premier épisode : une fille de la haute société et une Japonaise dont les raisons de la présence à Londres restent, pour l’instant, obscures.
Si les principaux ressorts de l’intrigue semblent se dévoiler rapidement, il faut concéder que nombre de zones d’ombre subsistent et que toutes les questions n’ont pas de réponses. Certes, les héroïnes sont connues mais leur parcours est à découvrir. Il reste à connaître les façons dont ces deux femmes ont pu lutter et comment elles su faire perdurer leur combat jusqu’à nos jours, comment a pu se passer le témoin entre les générations.
La cour d’appel de Londres innocente Lionel Barrington le P-DG de la SVPPB (Si Vis Pacem Para Bellum). Il ne peut être responsable, en tant que fabriquant de mines anti-personnelles, de la mort d’un garçonnet. Alors qu’il fête la nouvelle avec sa famille sur la pelouse devant sa propriété, son fils, puis son épouse marchent sur ces engins mortels.
Deux femmes et une fillette courent sur des toits pour échapper aux policiers qui les traquent. Bloquées au sommet d’une maison, elles sont prises au piège, un piège mortel quand lord Kurd met le feu à ce qu’il appelle un taudis !
Tout a commencé lors de la première Exposition universelle à Londres en mai 1851. Le colonel Winterfield et sa famille bénéficient d’une visite privée. Une petite miséreuse a réussi à se glisser dans les bâtiments pourtant clos et demande un shilling. Le militaire est outragé mais Jennifer, sa fille, qui après la peinture, la chimie, réalise des daguerréotypes, lui donne ce qu’elle demande. Quand elle prend un cliché de son père et du maître des lieux, elle a en arrière-plan une Japonaise qui tient un bébé. Jennifer s’aperçoit que celui-ci est mort. Cependant, elle ne veut pas lâcher le petit corps et se met en colère. Ce cadavre fait désordre et, pendant qu’elle est emmenée, suite à son éclat, sans ménagement dans un asile, le bébé est enterré par un jardinier qui le met à l’endroit où il place les nuisibles morts. Cette situation révolte Jennifer qui met tout en œuvre pour faire sortir la Japonaise de l’asile et donner une sépulture digne au bébé. Mais, dans l’Empire britannique, à cette époque, être une femme…
Zidrou impulse toute une série de rebondissements dans ce tome de présentation du cadre, du décor et des acteurs pour donner à son récit un suspense fort et attractif. Il dresse un portrait au vitriol de cette haute société, de cette gent bienpensante, affichant une respectabilité qui cache une avidité et un goût pour le vice et la perversion. Certes, il peut sembler facile de caricaturer une classe sociale, de l’accuser de toutes les dépravations. Mais comment faire autrement avec la série de révélations actuelles ? Et cet adage : “La réalité dépasse la fiction.” ne se justifie-t-il pas avec le voile soulevé sur les indignités de deux candidats à la présidentielle de la République française ?
Le dessin de José Homs, que l’on déjà pu admirer, par exemple, dans L’Angélus, un diptyque de Frank Giroud, est absolument splendide. Le trait, les postures dynamiques relaient à merveille la tonicité du scénario. Ce graphiste réalise dessin et couleurs, propose des perspectives osées, des mises en pages éclatées ou des pleines pages remarquables. La course de fiacres dans les rues de Londres est éblouissante. Si les décors sont soignés, la capitale de l’Angleterre bien restituée, les personnages sont particulièrement campés et plaisant à regarder, même pour les plus répugnants.
Ce premier tome est enthousiasmant et, connaissant les œuvres de Zidrou, on ne peut que supposer une suite encore plus attrayante.
serge perraud
Zidrou (scénario) & José Homs (dessin et couleur), Shi - t.1 : “Au commencement était la colère”, Dargaud, janvier 2017, 64 p. – 13,99 €.