Il va être encore question ici de Pénélope. Mais qu’on se rassure : Fillon n’est plus de la partie. Il est remplacé plus qu’avantageusement par Ulysse. Du moins son ersatz : à celui de l’Odyssée est substitué celui de Pascale Bonhénic ou de son héroïne. S’ensuit une habile digression autour du vers du texte d’Homère : « lorsqu’il fut de retour enfin ».
Le « back home » se fait désormais à Paris entre fureur et poussières accumulées. Si bien que — et dès l’arrivée du futile plaisantin — certains jours sont comptés. L’idée plus ou moins mythique et quasi-abstraite de L’Odyssée ne se boucle plus, dans l’esprit de la créatrice, sinon par les étapes géométriques d’un cercle ou d’une spirale puis dans les engrenages d’un mécanisme de quasi-horlogerie. Mais la Pénélope dont il est question ici n’a rien d’un automate… Sous ses pieds de ballerine son tour commence où celui d’Ulysse se termine : des tics tactiques dictent des pratiques qui n’ont rien d’antiques.
Pascale Bouhénic explore donc de manière jouissive la valeur figurative d’un mythe comme potentialité associative à d’autres possibilités qui n’ont rien d’hellénistiques. L’histoire générique devient propre à de nouvelles associations de sens et de concrétisations. Elles sortent du schéma cyclique originel. L’humour de plus est à chaque page et jusque dans l’eau « marronnasse » du canal parisien où tout se termine. A ce point, les trois lettres du mot « eau » en se touillant se métamorphosent en un retournement final. L’adresse espérée ne se fait pas à celui auquel le roman pouvait faire penser.
Bref, c’est un régal d’intelligence et de fantaisie. L’auteure y demeure telle qu’elle est : vive, profonde, faussement primesautière, pulsionnelle et décalée. Avec un goût prononcé autant de l’histoire littéraire que de l’anticonformisme loin des sages sagas romanesques étouffantes et démodées.
Preuve enfin qu’il existe peut-être deux Pascale Bouhénic : celle qui ne sait pas (ou trop bien) ce qu’il en est de l’amour et l’écrivaine qui donne sens à ses doutes. Est-ce la femme qui mutile l’homme, est-ce l’homme qui décapite sa partenaire? Les deux renvoient-ils à une conception tragique de l’amour ? Au lecteur de se faire sa propre idée. Mais il existe tout autant une manière de discuter une des thèses de Louise Bourgeois : “ chez une femme le sexe apparaît au moment où elle perd le contrôle, chez l’homme il intervient comme affirmation de son contrôle ”.
Néanmoins, chez Pascale Bouhénic tout reste plus profond, complexe et drôle comme est plus subtile la terreur de la ruine psychique. L’amant peut se désagréger autant voire plus que la femme qui l’a aimé. Elle n’est plus forcément dépossédée de son être. En ce sens, il est possible de parler de « Lorsqu’il fut de retour enfin » comme d’un roman parfaitement féminin. Evoquer à son sujet le mot charme serait superfétatoire ; corrosif semble plus juste — et jubilatoire.
jean-paul gavard-perret
Pascale Bouhénic, Lorsqu’il fut de retour enfin, Gallimard, L’Arbalète, Paris, 2017, 140 p. — 17,00 €.
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