Ornela Vorpsi, Vert venin

Ou le roman d’une roman­cière pho­to­graphe. L’adjectif a ici son importance

Vert venin d’Ornela Vorpsi… Ou le roman d’une roman­cière pho­to­graphe. L’adjectif a ici son impor­tance. Car Ornela Vorpsi est une artiste aty­pique qui n’a qu’un but : recher­cher la beauté dans tous les arts et com­mu­ni­quer. Ou bien com­mu­ni­quer tous azi­muts sur l’art dans une quête de beauté. C’est selon. Car la beauté est une pro­messe de bon­heur et le par­tage notre seule pos­si­bi­lité de rendre ce qui est conso­la­tion de ce qui n’est déjà plus. Une roman­cière qui écrit en pho­to­graphe donc. En usant de phrases courtes et lourdes d’une charge gra­phique. L’œil qui capte l’instant déci­sif, qui trans­forme la réa­lité en sen­ti­ments, de ceux qui redonnent un nom à chaque chose, de la pen­sée aux objets qui sont autre chose que seule­ment des mots.
 
Nous sommes à Sara­jevo, au cœur des Bal­kans. La terre de l’enfance de l’héroïne, l’Albanie, est toute proche. Ce lieu du monde dont elle avait choisi de s’éloigner pour exis­ter, pour fuir l’ennui, le fata­lisme, le som­meil des sens, le poids des peurs et les regrets. Reve­nue pour quelques jours en pays serbe afin de se por­ter au che­vet d’un ami malade, elle va hési­ter entre le désir de se lais­ser hap­per par les sou­ve­nirs de son enfance qu’elle croyait enfouis sous les sillons de l’exil et celui plus impé­rieux de par­tir au plus vite. Déra­ci­née, irré­ver­si­ble­ment hei­mat­los, le per­son­nage observe ses sem­blables à la déro­bée. Elle les connaît pour­tant, elle com­prend que leur silence fac­tice signi­fie méfiance et hési­ta­tion, qu’ils attendent un signe pour l’accepter comme une sœur de sang ou la pre­mière faute com­mise pour jaillir sur elle et la condam­ner. Car dans cette région, la tra­gé­die est fille de la géné­ro­sité. Parce qu’elle s’offre en over­dose. Quand elle fran­chit les limites, la géné­ro­sité se change en un monstre qu’il est dif­fi­cile d’accueillir.
L’odeur du pays réveille en elle un passé qui la vio­lente, l’écartèle. Un mélange nau­séeux de nos­tal­gie, d’amour, de ran­coeur, de déso­la­tion, d’impuissance, d’éloignement, de proximité.
 
Mais Vert venin c’est aussi la cou­leur de l’herbe, la cou­leur de la broche en forme d’abeille que por­tait la mère, celle de la mala­die, celle du visage du voya­geur qui cherche constam­ment ailleurs ce qu’il pour­rait trou­ver au pas de sa porte.
Les voyages leur per­mettent d’espérer qu’ils trou­ve­ront dans un autre pays, sous un autre cli­mat, dans une autre langue ce dont ils sont dépour­vus chez eux. Les amis qui partent ont sou­vent l’air de s’échapper d’une pri­son. Car la liberté est tou­jours de l’autre côté. Et ce, jusqu’à ce que cet autre côté devienne leur demeure.

Un livre conçu à par­tir de détails, de petits riens qui fas­cine la roman­cière, de ren­contres, de rémi­nis­cences, de sou­ve­nirs vécus, comme si l’auteur avait jugé essen­tiel de mar­quer ce livre par des empreintes auto­bio­gra­phiques, avait voulu nous faire par­ta­ger ses propres doutes, et, par ce dépas­se­ment de la nar­ra­tion simple, nous inci­ter à réflé­chir plus pro­fon­dé­ment au fait, cruel mais exal­tant aussi, que nous sommes tous quelque part au fond de nous, des étrangers.
Désor­mais, je suis une par­faite étran­gère. Quand on est à ce point étran­ger, on regarde les choses d’une autre façon que lorsqu’on est à l’intérieur. Être condamné à regar­der du dehors entraîne par­fois une grande mélan­co­lie. Un peu comme si vous alliez à un dîner de famille sans pou­voir y par­ti­ci­per : une vitre gla­ciale d’un verre bien épais, à l’épreuve des balles, à l’épreuve des ren­contres, vous sépare. Les membres de votre famille vous observent, vous recon­naissent, vous invitent à entrer et à les rejoindre, vous les voyez vous aussi et répon­dez par les mêmes gestes, mais le dîner se consomme ici, il se consomme comme ça. Bien­tôt, ils cessent de vous invi­ter, ils se lassent, le pou­let rôti leur sou­rit, le pou­let rôti tiré du four au bon moment est une véri­table conso­la­tion. Leurs paroles sont inau­dibles. Leur cha­leur loin­taine. Vous res­tez spectateur.
 
Un livre à empor­ter avec soi en voyage, à lire dans l’avion, à savou­rer de retour sur la terre ferme que l’on regarde sou­lagé mais avec des yeux plus neufs.
 
Pour en apprendre un peu plus sur Ornela Vorpsi, pas­sez par ici

cedric beal

   
 

Ornela Vorpsi, Vert venin (tra­duit de l’italien par Natha­lie Bauer), Actes Sud, jan­vier 2007, 117 p. — 13,00 €.

 
     
 

Leave a Comment

Filed under Non classé, Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>