Maud Simonnot, La nuit pour adresse

Mc Almon l’intranquille

Maud Sim­mo­not publie un texte rare. Sa bio­gra­phie tra­vaillée — comme le ferait d’un meuble un maître de l’école Boulle — devient l’égale d’une fic­tion. Si bien que sa créa­trice peut se hasar­der à cer­taines spé­cu­la­tions qui n’en son pas tant elle connaît son sujet et tant elle évite de touiller le jus d’une conjonc­ture psy­cho­lo­gique. Robert McAl­mon appar­tient au cercle des oubliés magni­fiques de la lit­té­ra­ture amé­ri­caine du XXème siècle. « Mariée à la fille la plus riche d’Angleterre, par­rain des Amé­ri­cains de Paris », il fut un écri­vain aussi sur­doué que désor­mais inconnu voire déclassé. Ami de Kiki de Mont­par­nasse, Man Ray, « amant de Nancy Cunard et de John Glassco », sou­tien de Ger­trud Stein, Joyce et Heming­way il fut à sa manière grand sei­gneur comme au besoin exé­cu­teur de basses œuvres et pié­ton de Paris.
La nuit pour adresse res­ti­tue tous les recoins et méandres — hors chro­mos – du héros et des autres idoles lit­té­raires des années 20. Celles de la « Géné­ra­tion Per­due » et des « Mem­bers of the Nonexistent, Always Left Bank Club » dont il fut un des sur­vi­vants. Il la quit­tera la même année que Heming­way, juste avant Williams Car­los Williams et Nancy Cunard. Mais Paris était bien loin et les fastes et frasques tout autant. Malade, McAl­mon passe ses années de cré­pus­cule dans un désert cali­for­nien près de Desert Hot Spring, sa « sinistre caserne ». Il par­tage son temps entre ce lieu et de longs séjours en hôpi­taux avant de mou­rir à 60 ans, grevé de cha­grins en dévers de la gloire de ses vingt ans : « il avait tout cla­qué, il ne lui res­tait tien » rap­pelle l’auteure. .

Elle per­met de suivre les méandres d’une exis­tence riche et com­plexe sans tom­ber dans les effets d’une nos­tal­gie siru­peuse. Maud Simon­not — parce qu’elle pos­sède un lan­gage vif, élé­gant, rapide — ramène à une expé­rience vitale des plus pas­sion­nantes. Les anec­dotes sont tou­jours signi­fi­ca­tives et elle ne s’attarde jamais. D’où l’effet de sidé­ra­tion que pro­voque un tel mixage d’envoûtement, d’attraction, de répul­sion, de désir et d’interdit.
Paris fut une fête pour celui qui demeura néan­moins à sa manière un « miss­fit ». Il ne cessa d’éprouver ce que la bio­gra­phie met bien en évi­dence : un sen­ti­ment d’exclusion. Il le res­sent très vite : ses amis de la « snob class » et tous les intel­lec­tuels qui jalou­saient son sta­tut d’auteur mais aussi d’éditeur font peser sur lui un mépris dif­fus pour le « petit gars du Middle West » D’autant que, sur­doué, il ne se laissa jamais embri­gadé même s’il sut parmi ses « oies blanches » trou­ver sa femme. Ce qui ne l’empêcha jamais de voir les défauts dans la cui­rasse, les pré­ju­gés, les stan­dards de fausse ver­tus des nan­tis pris dans le tour­billon de l’entre-deux-guerres. Si bien que sous le « par­venu » demeura le « fiori classe », le mar­gi­nal avec ce que cela sup­pose d’aura mais aussi de déboires.

L’auteure ne cau­té­rise en rien les plaies d’une telle vie : elle les creuse comme elle rend pal­pable non seule­ment le corps en détresse de l’âme mais aussi celui des plai­sirs du monde et de la vie. Maud Simon­not séduit et bou­le­verse car elle ne cherche jamais des appuis théo­riques pour cana­li­ser la bru­ta­lité des sen­sa­tions de l’existence du « Magni­fique ». Et existe dans l’écriture d’un tel livre un acte d’autorité très dif­fé­rent de celui qui se ren­contre dans le tout-venant bio­gra­phique. Au besoin, l’auteure décide et tranche avec émo­tion et intel­li­gence. Elle ne castre ni l’homme, ni le contexte. Certes, le doute est pré­sent lorsqu’il le faut. Mais l’ensemble est d’une force lit­té­raire et exis­ten­tielle rare.
Tout mute sans cesse et c’est bien là la richesse d’une telle recherche. Elle n’a rien d’une hagio­gra­phie mais se refuse tout autant à deve­nir un témoi­gnage à charge. Bref, c’est un plai­sir d’intelligence qui à chaque page prend un peu plus d’ampleur jusqu’au rêve final.

lire notre entre­tien avec l’auteure

jean-paul gavard-perret

Maud Simon­not, La nuit pour adresse, Gal­li­mard, coll. Blanche, 2017,  260 p. — 20,00 €.

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Essais / Documents / Biographies, Inclassables

One Response to Maud Simonnot, La nuit pour adresse

  1. Villeneuve

    Magni­fique ana­lyse de JPGP ins­piré par le talent de Maud Simon­not . Tout est dit avec pré­ci­sion et dis­tinc­tion par les deux artistes sur la troi­sième , et non moindre , per­sonne Mc Almon .

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