John Banville, La Mer

John Ban­ville, lau­réat du boo­ker prize 2005, était pré­sent à Paris pour pré­sen­ter son nou­veau livre, La Mer, à paraître chez Robert Laffont

 

Élé­gance et honnêteté

 

John Ban­ville était pré­sent à Paris le 7 mars, au Centre cultu­rel irlan­dais situé dans le Quar­tier latin, à l’occasion de la sor­tie en France de son der­nier roman, La Mer, qui lui a valu le Boo­ker Prize 2005.

En cette belle soi­rée de l’un des hivers les plus tièdes de l’Histoire, j’ai eu la chance de gra­vir la cen­taine de mètres de déni­velé qui sépare le com­mun des mor­tels de la mon­tagne Sainte-Geneviève, haut lieu de culture mon­diale depuis un mil­lé­naire où planent, parmi les pré­cieuses brumes de la connais­sance, les futures élites de notre beau pays. Pensez-vous ! Les étroites rues de cet Empy­rée du savoir virent pas­ser Érasme, Cal­vin, Dide­rot, Bal­zac, Sartre et tant d’autres qui, tels Vil­lon, Heming­way, Rim­baud et Ver­laine eurent aussi le plai­sir d’y rou­ler dans le cani­veau : c’est dire si l’atmosphère y est saine pour les choses de l’esprit ! Même Rous­seau et Vol­taire, ou du moins ce qu’il en reste, ont choisi les caves du Pan­théon pour y pas­ser l’éternité en voi­sins et remuer les dis­putes qui les oppo­sèrent de leur glo­rieux vivant, et ne par­lons pas d’Hugo, qui se sent bien par­tout, même dans une crypte humide où ne cessent de défi­ler les tou­ristes, dès lors qu’il y est encensé.

Enfin, au nom de quoi m’évertué-je à cette glo­rieuse tar­tine me direz-vous ? Non pas pour par­ta­ger l’un de ces conci­lia­bules estu­dian­tins où les esprits s’allument au fioul afin d’élaborer la pana­cée poli­tique qui met­trait fin au pro­blème de la misère dans le monde. Non. Voyez-vous, c’est qu’en ce 7 mars 2007, aux alen­tours de 19 heures, je filais tout droit vers le Centre irlan­dais situé rue… des Irlan­dais, légè­re­ment en retrait de la place du Pan­théon. J’avais la chance de connaître un peu l’endroit (mais était-il besoin de se creu­ser la tête pour rete­nir le nom de cette rue ?) grâce à quelques amis… irlan­dais qui y logeaient pour une année sco­laire. J’eus même, un temps, la ter­rible outre­cui­dance de me sen­tir un peu “vert” dans l’âme puisque, grâce à eux, j’eus la chance de défendre les cou­leurs de l’équipe de foot­ball de l’ambassade d’Irlande, mais ceci est une autre his­toire qui nous éloigne trop de l’intervention de John Ban­ville dans les murs de cette sin­gu­lière ins­ti­tu­tion qu’est le Centre cultu­rel irlandais…

En l’espace de quelques années, cette struc­ture est en effet deve­nue l’une des plus dyna­miques à pro­mou­voir la vie et la culture irlan­daises à l’étranger. De par sa situa­tion, cette ins­ti­tu­tion fon­dée en 1578 connut de près tous les sou­bre­sauts de l’histoire de France : les guerres de reli­gions, la Révo­lu­tion de 1789, le pre­mier Empire et la bien­veillance de l’empereur Napo­léon, l’horrible période des années 1870–1871 qui virent s’abattre sur la capi­tale les armées prus­siennes et la guerre civile de la Com­mune, deux épi­sodes tra­giques au cours des­quels le bâti­ment fut converti en hôpi­tal de for­tune et bom­bardé en tant que tel. Rénové en 2002, le centre abrite désor­mais une popu­la­tion com­po­sée de 45 rési­dents irlan­dais, tous étu­diants ou artistes. Cette remar­quable vita­lité per­met à ce petit îlot de terre cel­tique en plein Quar­tier latin de pro­po­ser des débats, de nom­breuses ren­contres, plu­sieurs expo­si­tions et autres mani­fes­ta­tions plu­ri­an­nuelles qui concernent l’ensemble des dis­ci­plines artis­tiques, tout en s’efforçant de pro­mou­voir les tra­vaux des peintres, des écri­vains et des poètes qu’il abrite. À défaut de par­ti­ci­per direc­te­ment à toutes les ini­tia­tives du centre, ceux qui vou­dront mettre un pre­mier pied sur la terre d’émeraude sans quit­ter Paris pour­ront flâ­ner dans sa cour qui semble grande ouverte sur le ciel, visi­ter sa média­thèque ou bien assis­ter aux offices de la petite cha­pelle qui se love dis­crè­te­ment dans l’une de ses ailes comme un cadeau bien caché.

Cest dans ce cadre on ne peut plus idéal pour accueillir l’un des plus grands écri­vains irlan­dais actuels que John Ban­ville est venu accom­plir une visite express en France à l’occasion de la sor­tie chez Robert Laf­font de l’édition fran­çaise de son der­nier son roman, The sea (La Mer, sans vou­loir offen­ser les meilleurs angli­cistes d’entre vous), ouvrage qui lui a valu outre-Manche le très célèbre Boo­ker Prize 2005, l’équivalent de notre prix Gon­court natio­nal. À la tri­bune, cos­tume foncé, lunettes posées sur le nez, bal­lon de vin blanc à por­tée de main afin d’humecter ses lèvres à chaque fois que la cha­leur des spots bra­qués sur lui l’exigent, John Ban­ville s’exprime cal­me­ment, d’une voix égale et appli­quée, avec un accent irlan­dais clair, mon­trant à l’occasion un esprit tout anglo-saxon, un rien pince-sans-rire, plein de sève et d’autodérision. Devant un public d’une cin­quan­taine de per­sonnes, celui qui est consi­déré comme l’un des plus grands sty­listes actuels a lu un pas­sage de son roman La Mer avant d’enchaîner sur l’incipit d’un ouvrage en cours de com­po­si­tion, ins­piré de L’Amphitryon de Von Kleist, pour finir en répon­dant aux diverses ques­tions des spectateurs.

Elegance and honesty, l’essentiel de John Ban­ville, de son atti­tude autant que de sa pra­tique lit­té­raire, semble rési­der dans ces deux mots qu’il a employés avec une convic­tion neutre et dis­tin­guée pour dési­gner les idéaux direc­teurs d’une écri­ture ample, colo­rée, manié­riste et sonore comme la prose de Conrad, impas­sible, pré­cieuse et obsé­dante comme le flux majes­tueux de cer­tains des meilleurs son­nets de Mal­larmé. Ban­ville est à mettre au rang des très rares de ceux qui aujourd’hui par­viennent à trans­por­ter le lec­teur dans la savante déré­lic­tion d’une lit­té­ra­ture à l’esthétique cise­lée comme un bijou d’or scythe, dont la beauté éblouit autant que le pro­pos qu’il cerne, ini­tiant aux plus com­plexes intri­ca­tions du sou­ve­nir, de l’échec et des souf­frances intimes. De fait, il a été par­ti­cu­liè­re­ment étrange de trou­ver les sen­sa­tions res­sen­ties à la lec­ture d’un roman comme Éclipse, l’un des livres de Ban­ville déjà tra­duits en fran­çais, expri­mées clai­re­ment par l’auteur de cet ouvrage, du haut de sa tri­bune. Ban­ville a ainsi fait mouche à plu­sieurs reprises, notam­ment lorsqu’il a exposé son inten­tion d’écrire to make the rea­der write the book — écrire “de façon à ce que le lec­teur écrive le livre avec lui”. Il semble qu’il ait fait davan­tage réfé­rence à une véri­table exi­gence d’attention et d’empathie du lec­teur, sem­blable à ce que l’on peut trou­ver chez Flau­bert et Proust, tous deux si atten­tifs aux cha­toie­ments et à la réso­nance des mots, qu’à un encou­ra­ge­ment à une recréa­tion et une inter­pré­ta­tion assez libre du texte par son récep­teur, dans la visée du concept d’ “œuvre ouverte” lar­ge­ment popu­la­risé par Eco. 

Car Ban­ville n’a pas la répu­ta­tion d’être de ceux que l’on classe par­fois peut-être un peu trop vite dans la caté­go­rie des écri­vains “grand public”, pour ne pas dire de ces lit­té­ra­teurs dont le suc­cès excuse chez cer­tains de graves insuf­fi­sances artis­tiques. S’il est vrai que sa pra­tique éla­bo­rée de la langue confine à une cer­taine exi­gence, ce tendre ulti­ma­tum s’inspire sur­tout d’un tra­vail pro­pre­ment authen­tique. Loin des faux-semblants d’une cer­taine lit­té­ra­ture qui dis­si­mulent ses fai­blesses et son incon­sis­tance dans l’ellipse, le blanc et la conci­sion, l’œuvre de John Ban­ville paraît consa­crer la résis­tance insoup­çon­née de deux saints prin­cipes qui ne s’acquièrent qu’à force de tra­vail et de patience, deux facul­tés de l’âme et d’un cer­tain talent que le pay­sage lit­té­raire fei­gnait de mépri­ser - voire que d’aucuns dans ce sérail mal oxy­géné avaient rêvé de chas­ser pour tou­jours : L’élégance et l’honnêteté.

bap­tiste fillon

   
 

 7 mars 2007, Centre cultu­rel irlan­dais — 22 rue des Irlan­dais — 75005 Paris.

 
     
 

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