Les politiques — Fillon et sa Pénélope obsolète en tête - ignorent La Honte. Il n’en va pas de même en littérature. Elle en reste un des grands moteurs de sa création. Jean-Pierre Martin approfondit ce qu’il nomme les « gouffres de déconsidération » qui rendent sine die le lecteur souvent si proche de ceux qui s’osent, se haussent ou s’abaissent aux aveux de leur crasse intérieure.
Le processus est complexe car il s’agit de surmonter le regard des autres (famille, société) et le sentiment intérieur qui oblige le plus souvent à ne pas oser sortir de ce qui invite au silence plus qu’à l’aveu.
La honte prend donc de multiples facettes : personnelle ou sociale, historique ou politique. Parmi les textes plus connus sur ce thème, d’emblée reviennent en tête les pages de Rousseau dans les Confessions, Albert Cohen, bref les auteurs qui s’auto-flagellent mais juste ce qu’il faut. Mais il existe d’autres types de honte, bien différentes : celle des survivants par exemple.
Ce sentiment peut devenir si paroxysmique qu’il arrive à un auteur de ne pas en survivre : chez Primo Levi ou encore Charlotte Delbo (que l’auteur oublie de citer).
Martin fait le tri entre « le honteux refoulé, le bouffon cache-misère, l’imposteur empêtré ». Dans leur diaspora, ils valent mieux néanmoins que tous les politiques qui utilisent le mensonge comme arme et armure. L’auteur sait donc faire le point sur la spécificité de la honte littéraire. Il la nomme « le fait de plus penser qu’on ne peut. Le fait de se souvenir plus qu’on ne se souvient ».
Cela peut sembler une spéculation, voire une honte de plus… Toutefois, l’analyste montre tous les plis dans lesquels un auteur peut se cacher.
jean-paul gavard-perret
jean-Pierre Martin, La honte — Réflexions sur la littérature, Gallimard, Folio Essais, 2017, 420 p.