Le titre est à lui seul la meilleure critique. Mais l’on peut aussi développer davantage son enthousiasme
J’étais passé à côté de Tout est illuminé. Le film, le livre, l’auteur. Malgré le buzz autour de ce dernier, américain, moins de 30 ans alors (il les aura cette année, quand même !…).
Eh bien je vais être obligé de me rattraper. Fissa.
Le second livre de Jonathan Safran Foer a été une vraie révélation. Extrêmement fort et incroyablement près est une étoile filante. J’avais écrit “météorite” mais l’image n’est sans doute pas la plus opportune pour un récit évoquant le 11-Septembre. Et puis une étoile filante c’est une vive lumière sur un fond noir. C’est bien ça.
Son titre en constitue sinon la meilleure, du moins la plus synthétique critique. Néanmoins, pour les plus récalcitrants d’entre vous, ci-après quelques lignes de pur prosélytisme.
Parlons déjà de l’objet. Quelques photos viennent s’intercaler dans le cœur du texte, de pleines pages qui contribuent par leur réalisme à rendre plus tangibles encore les émotions suscitées par le récit. Aux personnes qui aiment à commencer un livre par un coup d’œil à la dernière page : ici s’abstenir.
L’histoire ensuite. Le point de départ en est la découverte par Oskar, 9 ans, orphelin de père depuis le 11-Septembre, d’une clé qui lui fera parcourir New York à la recherche de la serrure correspondante. Derrière ce synopsis, Jonathan Safran Foer développe le thème de la perte et du difficile vivre– ensemble. Chaque personnage qu’Oskar rencontre constitue une nouvelle preuve vivante d’une condition humaine fragile, hagarde ou désespérée, en quête de liens — de “connexions” pour utiliser un terme plus fréquent outre-Atlantique qu’en France mais qui renvoie à la métaphore de la clé et de la serrure. Les chapitres sur les grands-parents, aussi bouleversants que ceux centrés sur Oskar, ne disent pas autre chose.
Le ton enfin (et surtout). La prose de Safran Foer est lumineuse, élégante et simple. Elle alterne dialogues et échanges épistolaires, actions et idées, ces dernières s’avérant souvent d’authentiques trouvailles…
Dans mon lit ce soir-là j’ai inventé un écoulement spécial qui serait sous tous les oreillers de New York et aboutirait au réservoir. Chaque fois que quelqu’un pleurerait en s’endormant, les larmes iraient toutes au même endroit, et le lendemain matin la météo pourrait annoncer si le niveau du Réservoir des Larmes avait monté ou baissé, on saurait si New York porte ou non des semelles de plomb. Et chaque fois qu’il arriverait quelque chose de vraiment vraiment terrible — une bombe thermonucléaire, ou au moins une attaque par armes biologiques — une sirène extrêmement forte se déclencherait, disant à tout le monde d’aller à Central Park mettre des sacs de sable autour du réservoir.
Extrêmement fort et incroyablement près, donc…
guilhem menanteau
Jonathan Safran Foer, Extrêmement fort et incroyablement près (traduit par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso), éditions de l’Olivier, septembre 2006, 424 p. — 22,00 €. |