Grégoire Delacourt, Danser au bord de l’abîme

Se perdre et tout perdre par amour

L’Amour, le vrai, celui qui naît au pre­mier regard, et qui vous enflamme comme un bra­sier, peut vous ame­ner aussi à tout détruire autour de vous, emporté par des élans pas­sion­nels. Certains(es) sont prêts à tout quit­ter pour suivre l’élu(e) de leur cœur, et à oublier, voire renier, ce qu’ils (elles) avaient cru construire au fil des années. Avan­cer à deux c’est faire un pas vers l’autre, s’enlacer dans une danse sen­suelle et tor­ride, et par­fois, avoir le ver­tige à son contact, quitte à s’approcher trop près du gouffre, et à dan­ser au bord de l’abîme, comme le fait Emma, l’héroïne du nou­veau roman de Gre­goire Dela­court.
Emma, mariée depuis plu­sieurs années, et mère de trois enfants, se pense heu­reuse aux côtés d’Olivier. Jusqu’au jour où elle entre dans une bras­se­rie et aper­çoit l’homme qu’elle atten­dait sans le savoir. Un homme dont elle ne connaît rien, mais qui la trouble au pre­mier regard. Jour UN d’une nou­velle vie, ryth­mée au son des bat­te­ments de son cœur, et plus par la Rai­son, ou les rai­sons qui l’ont fait perdre de vue sa per­son­na­lité dans la bana­lité du quo­ti­dien d’épouse modèle. Un regard, puis quelques mots, de rapides échanges dans cette bras­se­rie ano­nyme, et Emma s’apprête à tout quit­ter, …mais prendre le risque de tout aban­don­ner pour­rait la faire tom­ber au lieu de s’envoler. Réelle pas­sion ou simple feu de paille ? Chute ou rédemp­tion ?… Il vous fau­dra atteindre la fin du roman pour connaître le véri­table des­tin d’Emmanuelle.

On attend tou­jours avec impa­tience un roman de Gré­goire Dela­court. Nous voilà donc récom­pen­sés avec Dan­ser au bord de l’abîme, car cette mer­veilleuse his­toire de pas­sion ne peut lais­ser per­sonne indif­fé­rent. On y retrouve une qua­lité d’écriture, qui va droit au cœur. Elle n’est pas sans rap­pe­ler son 1er roman ou son avant-dernier. Les per­son­nages semblent s’ennuyer dans une vie dont ils ne veulent plus, et ne rêvent que de s’échapper de leur cage en secret. Quand la porte de cette bras­se­rie s’ouvre sur cet inconnu, c’est la porte de la cage dorée d’Emma qui s’ouvre en grand. Elle va déployer ses ailes pour s’envoler au loin, voler haut , tou­jours plus haut, quitte à se brû­ler les ailes comme un cer­tain Icare. Sa vie de famille sem­blait pour­tant lui appor­ter bon­heur et tran­quillité, mais jus­te­ment peut être un peu trop de tran­quillité. Et la qua­ran­taine va lui faire connaître ce fameux démon de midi, même si en vou­lant gagner la liberté et connaître la grand Amour, elle peut tout perdre.

Un roman en trois par­ties, qui réserve beau­coup de sur­prises, et qui touche le lec­teur au plus haut point. On y croise encore une fois des per­son­nages aty­piques, comme cette gérante de cam­ping, ancienne pros­ti­tuée au grand cœur. Cha­cun va appor­ter sa pierre à la (re)construction de la vie de l’héroïne. Roman qui ne peut que connaître le suc­cès, car comme à son habi­tude, Mon­sieur Dela­court sai­sit à per­fec­tion des moments de vie, et nous les fait vivre à nous aussi, nous fait res­sen­tir toutes les émo­tions contra­dic­toires qui peuvent nous tra­ver­ser en tant qu’homme ou femme. Dou­leur de l’absence, sou­ve­nir des absents, deuil et nou­veau départ sont au centre de l’intrigue, et l’auteur nous demande cepen­dant d’apprécier encore plus la Vie après avoir tra­versé de grandes épreuves. Carpe diem plus que jamais, et pas de dépres­sion chro­nique en vue, même si on réflé­chit au sens de la vie, de notre vie en poé­sie mais aussi à tra­vers quelques mots durs par­fois.
Il est bien là le talent de Mon­sieur Dela­court, faire coïn­ci­der la fic­tion d’Emma (que l’on ne peut qu’aimer !) avec notre réa­lité d’humain au cœur d’argile, qui reste tou­jours à mode­ler. On aurait pu croire que l’auteur pre­nait des risques en choi­sis­sant une femme comme nar­ra­trice, qui dit “décrire les faits sans conces­sion”, mais pas du tout. Rap­pe­lons que c’était déjà le cas dans La liste de mes envies, avec éga­le­ment beau­coup de ten­dresse. La sen­si­bi­lité de la plume de Mon­sieur Dela­court est telle qu’hommes ou femmes peuvent adhé­rer vite à son point de vue d’aspirer à une nou­velle vie, un nou­vel amour, où tous les sen­ti­ments semblent nou­veaux. Son héroïne Emma recon­naît elle-même : “je ne vou­lais pas d’un amant. Je vou­lais un ver­tige”.

Vertige, ou ver­tiges, car tout n’est pas rose dans cette nou­velle rela­tion, qui va bien au contraire, mettre en avant la grande soli­tude d’Emma, ses doutes fami­liaux, son mal-être avec sa mère, sans oublier l’ombre de la mala­die aussi… Et telle la “chèvre de mon­sieur Seguin” dont l’auteur par­sème d’extraits son récit, on com­prend vite que bri­ser la chaîne, ses chaînes pour­rait entraî­ner Emma vers les pires des dan­gers.
Ne vous atten­dez donc pas à rire ici, la dou­leur est plu­tôt au rendez-vous, mais une dou­leur si belle, si intense, que l’on en devien­drait maso­chiste, et que l’on redemanderait.

franck bous­sard

Gré­goire Dela­court, Dan­ser au bord de l’abîme,  J. –C. Lat­tès, 2017, 364 p. –19,00 €.

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