Parler du dernier roman d’Angot sans parler d’Angot… Gageure ???
Cette critique est un essai. Une tentative de parler de Rendez-vous, sans parler de Christine Angot. Faire comme si on ne la connaissait pas. Comme si depuis septembre on ne lisait aucun journal, ni culturel, ni people. Comme si on n’écoutait aucune station de radio, et qu’on ne regardait aucune chaîne de télé. Comme si on n‘avait jamais rien lu, non plus, de Christine Angot. The song, not the singer, en quelque sorte.
La trame tout d’abord : une femme tombe amoureuse d’un homme, avec qui elle va un soir coucher, puis essayer, pendant des mois, d’entrer en contact. Au sens propre comme au sens figuré.
Le roman dit cette souffrance :
En me couchant un soir, en me tournant sur le côté, avec un oreiller serré entre mes genoux, mes larmes s’étaient mises à couler, je me disais : ben voilà c’est ça aimer, c’est ça, c’est difficile, mon Dieu, comme c’est difficile. Pour toi du moins, qu’est-ce que c’est difficile pour toi. Je ne pense pas qu’il m’appellera demain. Peut-être qu’il ne veut plus me voir. J’appellerai après-demain, je lui laisse encore la possibilité de m’appeler demain, même si je n’y crois pas. Mais si son portable est fermé, comment je vais faire, je ne vais pas encore laisser un message ? C’est dur, c’est dur. Je fermais les yeux, je les rouvrais. Je poussais un soupir pratiquement entre chaque phrase, et je disais ahh.
Pas de fioritures stylistiques donc. Du brut, de l’intime. Pas d’implicite, de l’explicite. L’intérêt est (serait ?) ailleurs.
L’histoire est en réalité un peu plus complexe que le résumé ci-avant. La narratrice est écrivain. L’homme dont elle tombe amoureuse est acteur. Elle doit participer avec lui à une lecture. Il lui demande d’écrire leur histoire. On croit alors que, selon le bon vieux principe d’incertitude d’Heisenberg — pour faire bref, la mesure interfère avec l’objet de la mesure — leur histoire va être modifiée du fait même qu’elle sera relatée. Il n’en est rien. Au contraire, le fait de le raconter est en soi une preuve du sentiment :
Je n’aurais pas pu écrire si ce n’était pas un rapport amoureux. (…) Si ce n’est pas un rapport amoureux, je déchirerai.
Et écrire permet d’aimer : si écrire ne pouvait pas me servir à aimer, autant tout arrêter. On s’approche alors, mais sous une tout autre forme, des préoccupations sur fiction et réalité du Philip Roth de L’épopée Zuckerman.
Le livre contient également quelques histoires parallèles, efficaces contrepoints destinés à compléter le portrait de la narratrice, et à souligner l’importance de l’histoire principale. La plus “divertissante”, celle avec le vieil amant opulent et pervers, permet ainsi, outre quelques pauses dans un récit globalement éreintant, d’évoquer tour à tour la perversité non moins grande de la narratrice, les blessures vivaces de l’inceste paternel mais surtout à marquer le décalage entre ceux qui sont dans la littérature et ceux qui n’y sont pas. Tandis que le banquier aspire à autre chose que sa vie ordonnée et matérielle, il cherche des échappatoires, des respirations, des parenthèses, l’acteur lui dit : L’écriture c’est quelque chose qui peut me remplir une vie.
Or, de mon petit point de vue, l’écriture ne remplit pas beaucoup Rendez-vous. Il y a un projet, une exigence qui peuvent inspirer le respect. Mais aussi une banalité de la langue déprimante. La posture de l’écrivain justifie-t-elle qu’on se désengage ainsi de tout effort stylistique ? Peut-on refuser aussi délibérément tout travail, je ne parle même pas de plaisir, sur la langue ? Miser seulement sur une sensibilité exacerbée pour dire une relation amoureuse ? Accepte-t-on en tant que roman un texte dont le style flirte à ce point avec un journal intime quelconque ?
Ou alors c’est du second degré. L’écriture sans prétention du journal, l’histoire de la fille libérée qui tombe amoureuse du coup d’un soir - saoul ! - qui ensuite la balade, et qu’elle harcèle comme elle-même est poursuivie par un vieil ex pervers… Quand bien même il s’agirait de ça - ce que je ne crois pas - c’est long.
guilhem menanteau
Christine Angot, Rendez-vous, Flammarion, août 2006, 379 p. — 20,00 €. |
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