Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, 1936–1945. Mémoires d’un ambassadeur fasciste

Du temps où l’on tuait pour des idées

« Duce, avec vous jusqu’à la mort ». C’est par cette expres­sion que le diplo­mate Filippo Anfuso pro­clama sa fidé­lité à Mus­so­lini lorsque les Alle­mands l’installèrent en 1943, après l’avoir libéré, à la tête de la répu­blique sociale dite de Salò. Par ce ser­ment, Anfuso fut pro­pulsé au cœur des évè­ne­ments san­glants qui menèrent l’Italie dans une atroce guerre civile. Avant cela, il joua un rôle de second plan mais suf­fi­sam­ment proche des pre­mières loges (par sa fonc­tion de chef de cabi­net de Galeazzo Ciano, gendre et ministre des Affaires étran­gères de Mus­so­lini) pour appor­ter de nom­breux élé­ments de com­pré­hen­sion sur les déci­sions du Duce. Ayant sur­vécu à l’épuration, il livra un pré­cieux témoi­gnage dans ses Mémoires que les édi­tions Per­rin publient avec une très riche pré­face de Mau­ri­zio Serra sur la poli­tique étran­gère du fascisme.

Anfuso vécut donc de l’intérieur une période cru­ciale qui fut celle du ren­ver­se­ment des alliances de l’Italie fas­ciste, jusqu’en 1935–1936 proche des démo­cra­ties, au béné­fice de l’Allemagne nazie. Tour­nant capi­tal en vérité qui se fit étape après étape, dont cer­taines sont seule­ment évo­quées (la guerre d’Espagne) d’autres décrites avec détails (les voyages offi­ciels de 1937 à Ber­lin et de 1938 à Rome).
Ciano ne sort pas tou­jours grandi des sou­ve­nirs de son chef de cabi­net qui entra dans la car­rière diplo­ma­tique en même temps que lui mais sa « conver­sion » anti­ger­ma­nique d’août 1939 est bien décrite.

L’un des points saillants du livre se trouve dans la chute de Mus­so­lini, pris en étau entre le com­plot des hié­rarques et celui du roi Victor-Emmanuel III. Ce fut à ce moment-là que le des­tin d’Anfuso et celui de tant d’autres Ita­liens bas­cula. D’accord avec le prin­cipe d’une négo­cia­tion avec les Alliés mais hos­tile à l’idée de la mener sans concer­ta­tion avec les Alle­mands et sans Mus­so­lini, il refusa de suivre le maré­chal Bado­glio dans sa voie tor­tueuse.
Anfuso, ral­lié au Duce, hérita de l’ambassade d’Italie dans un Reich sur la voie de la défaite, où il tenta de four­nir à la RSI les moyens de sur­vivre et d’atténuer les châ­ti­ments que les nazis infli­geaient aux tra­vailleurs et sol­dats ita­liens tom­bés entre leurs mains.

Le des­tin d’Anfuso illustre la cruauté de l’histoire qui oblige les indi­vi­dus de faire des choix sans connaître la fin de leur his­toire. Les notes cri­tiques de Mau­ri­zio Serra per­mettent d’éclairer les erreurs, les limites et la mau­vaise foi inhé­rentes à l’exercice des mémoires sans rien enle­ver de la force du témoi­gnage d’Anfuso sur  un temps où l’on tuait pour des idées.

fre­de­ric le moal

Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, 1936–1945. Mémoires d’un ambas­sa­deur fas­ciste, pré­face et notes de Mau­ri­zio Serra, Per­rin, février 2017, 437 p. — 23,00 €.

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