Du temps où l’on tuait pour des idées
« Duce, avec vous jusqu’à la mort ». C’est par cette expression que le diplomate Filippo Anfuso proclama sa fidélité à Mussolini lorsque les Allemands l’installèrent en 1943, après l’avoir libéré, à la tête de la république sociale dite de Salò. Par ce serment, Anfuso fut propulsé au cœur des évènements sanglants qui menèrent l’Italie dans une atroce guerre civile. Avant cela, il joua un rôle de second plan mais suffisamment proche des premières loges (par sa fonction de chef de cabinet de Galeazzo Ciano, gendre et ministre des Affaires étrangères de Mussolini) pour apporter de nombreux éléments de compréhension sur les décisions du Duce. Ayant survécu à l’épuration, il livra un précieux témoignage dans ses Mémoires que les éditions Perrin publient avec une très riche préface de Maurizio Serra sur la politique étrangère du fascisme.
Anfuso vécut donc de l’intérieur une période cruciale qui fut celle du renversement des alliances de l’Italie fasciste, jusqu’en 1935–1936 proche des démocraties, au bénéfice de l’Allemagne nazie. Tournant capital en vérité qui se fit étape après étape, dont certaines sont seulement évoquées (la guerre d’Espagne) d’autres décrites avec détails (les voyages officiels de 1937 à Berlin et de 1938 à Rome).
Ciano ne sort pas toujours grandi des souvenirs de son chef de cabinet qui entra dans la carrière diplomatique en même temps que lui mais sa « conversion » antigermanique d’août 1939 est bien décrite.
L’un des points saillants du livre se trouve dans la chute de Mussolini, pris en étau entre le complot des hiérarques et celui du roi Victor-Emmanuel III. Ce fut à ce moment-là que le destin d’Anfuso et celui de tant d’autres Italiens bascula. D’accord avec le principe d’une négociation avec les Alliés mais hostile à l’idée de la mener sans concertation avec les Allemands et sans Mussolini, il refusa de suivre le maréchal Badoglio dans sa voie tortueuse.
Anfuso, rallié au Duce, hérita de l’ambassade d’Italie dans un Reich sur la voie de la défaite, où il tenta de fournir à la RSI les moyens de survivre et d’atténuer les châtiments que les nazis infligeaient aux travailleurs et soldats italiens tombés entre leurs mains.
Le destin d’Anfuso illustre la cruauté de l’histoire qui oblige les individus de faire des choix sans connaître la fin de leur histoire. Les notes critiques de Maurizio Serra permettent d’éclairer les erreurs, les limites et la mauvaise foi inhérentes à l’exercice des mémoires sans rien enlever de la force du témoignage d’Anfuso sur un temps où l’on tuait pour des idées.
frederic le moal
Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, 1936–1945. Mémoires d’un ambassadeur fasciste, préface et notes de Maurizio Serra, Perrin, février 2017, 437 p. — 23,00 €.