Ensorcellement et cool frénésie
Sans quitter l’écriture, Jaffeux poursuit son détournement (et non seulement de ponctuation) à travers des réitérations et reprises. Au lieu de diluer le propos, elles le mettent en tension par effet de vertige. Adepte au besoin de l’essence numérique, le poète travestit le mouvement de la langue et sa prétendue innocence au profit d’un désordre « trans » ininterrompu et agencé selon un coup de dé qui ne doit rien au hasard.
Le poète reste en cela fidèle à Mallarmé et à ces maîtres du jeu dont le but n’est pas d’étouffer les mots sous le sens mais d’y créer des interstices. Bref, l’écriture n’est plus reproduction mais re-production. L’espace du tiret siphonne le logos pour donner passage à l’écart où une énergie prend place.
La rhétorique, queue basse, doit rendre les armes. Les ruptures créent non un frein mais une « phrénésie » du discours dans un jeu où l’ode hissée jadis par l’Odyssée rompt avec le trajet d’un « il » à l’autre. C’est jouissif, coruscant là où tant de poètes n’accordent à leur genre que des soins palliatifs.
A l’inverse, Jaffeux remonte au paléolithique. Il ne s’agit plus toutefois de frotter deux âmes l’une contre l’autre pour savoir la nature de leur flamme mais de mettre de la poudre d’escampette à toute remise dialectique.
Cassant les cordeaux de la textualité, le fil du discours devient électrique. Plus de graisse végétale ou de Castrol du cœur en de tels parages. Juste les lacets de rhizomes qui mettent à mal la végétation morte d’un discours admis : Jaffeux l’arrache en touffes, met le chiendent en pelotes tout comme les liserons du rationnel, leurs fétus jaunis et leurs cosses noirâtres. Le texte est à la fête sur ses branches devenues flexibles.
jean-paul gavard-perret
Philippe Jaffeux, Entre, Lanskine, Paris, 2017, 72 p. — 12,00 €.
Une belle écriture très métaphorique pour mettre en valeur une tout autre écriture, diamétralement opposée …Intéressant !