Questionner la mémoire par les images
De Lausanne, Michel Thevoz continue de rappeler aux béotiens que la vraisemblance, la ressemblance ne doivent jamais avoir le dernier mot. Pour lui, faire l’inventaire des images n’est pas ajouter des images aux images. Il faut à travers celles qui existent questionner la mémoire, se libérer de toute mélancolie envers ce qu’elle “fabrique” et ce que les pouvoirs en retiennent pour leur glorification. Quoique développant une œuvre d’érudition, Thévoz est resté hors des sentiers battus. La question centrale n’est plus chez lui la survivance des gestes antiques dans l’histoire de l’art mais la façon dont ils sont transformés dans les marges de l’art. Avec clarté incisive, l’auteur suisse transcende les visions admises. Il redécoupe la notion de beau, fait son miel de la laideur et montre comment la seconde déplace la première.
La laideur ne signifie en rien la mort de l’art mais sa nouvelle alliance et sa régénérescence. Thévoz rappelle qu’au dégoût de Le Corbusier pour la laideur de la modernité comme à celui du fils de Lichenstein hostile à la peinture paternelle et optant pour Donald par Walt Disney car « on voit ce que ça représente et c’est bien dessiné » s’oppose par ce qu’on nomme le laid « le goût de l’autre, mais le goût de l’Autre ». Pour l’auteur, toutes les déviations de l’art restent des opérations de savoir. Elles viennent croiser des opérations du sensible d’où surgissent des inquiétudes de la mémoire. La question qui en ressort est comment une image, quelle qu’en soit la provenance et ses assemblages, crée un type de connaissance particulière.
Sans forcément avoir comme but la considération d’une beauté formelle, Thevoz étend le champ des images en faisant abstraction du concept de beauté. Toute image selon lui « migre”, pense l’évolution, à travers des trous ou des points de bifurcation selon des dialectiques qui mettent en scène différents plans d’intelligibilité qu’on prend parfois pour un chaos.
Maître du constat de la « désublimation répressive des pratiques humaines et leur resacralisation esthétique », l’auteur montre aussi toutes les ambiguïtés de la monstration en l’aube du nouveau millénaire. Le musée ? « invention du capitalisme et progression du désenchantement universel ». Face à l’auto-commémoration exponentielle — dont le selfie est un moindre avatar -, l’auteur s’oppose aux « tables » d’orientation et de présentation afin d’y installer son désordre.
jean-paul gavard-perret
Michel Thévoz, L’art comme malentendu, Editions de Minuit, coll. Paradoxe, Paris, 2017, 70 p. — 11,00 €.