La littérature n’est pas un loisir et elle n’est pas seulement un témoignage. Elle doit passer outre dans un apprentissage de la complexité grâce à une langue violente et tranchée pour que jaillisse un monde plus riche. C’est pourquoi, une nouvelle fois, Jérôme Bertin fait un inventaire autobiographique qui ne cède jamais à l’ordre de la futilité. Ecrire n’est pas décrire la marginalité — sinon organiquement par « celui qui valse que la vautre » sans pour autant se vautrer là où pourtant le risque est grand.
Parler les marges, les vies gâchées où l’être est — pour reprendre un autre titre de l’auteur « Bâtard du vide » - demande une esthétique bien plus grunge que néo-réaliste. Le monde y est alors ce qu’il est : agonique. L’auteur l’évoque dans un chant lyrique qui mélange la merde à l’or et secoue bien des manières d’écrire là où tout jouxte l’immonde et l’abîme.
Alternent les vers et la prose dans cette évocation où « la pisse parfumée des muses » rejoint « d’autres petites musiques de nuit » en ce qui fait dissidence et protestation. Car, en dépit de la nature du livre, l’être n’est pas réductible à ses excréments. Bien au contraire. Pas de verbiage : la langue bouge en tout « sens cris ». Il y a des odeurs d’amour et l’auteur évite de faire de la pornographie littéraire une institution. Dès lors, les fées sont brutales et « putes limougeaudes, noires flasques, travelos crasseux créent autant de malentendus que de passages dans un mouvement du change des formes par le travail d’une langue qui en se changeant, change les choses ».
Une telle expérience littéraire n’est jamais dévorée par un pur formalisme. Certes, les mots cherchent leur sens dans une sorte d’immersion au sein d’un réel où la neige se mêle à la foirade (entendons le chiasseux). Peu à peu, le lecteur pénètre dans des cercles flottants. Tout joue dans la coupure chez un narrateur, sujet “bipolaire” dont l’écriture sort de l’habituel brouet sirupeux pour rejoindre l’Histoire — mais par la porte d’en bas et surtout pas celle des puissants.
Le texte fonctionne parfaitement entre violence et un amour conséquent pour les damnés des enfers. Tout s’enroule et se développe de manière complexe mais parfaitement visible. Le réel apparent est revisité dans une scansion étrange qui place le lecteur en un état particulier. “Cosa mentale”, la prosodie et le poème mêlent sensations et interrogations intellectuelles et physiques. Une telle musique de la langue semble venir de partout et de nulle part. Elle est donc à l’image de l’auteur.
Reste toutefois un jaillissement de source là où la lumière jette des grains que l’on ne voit pas et qui se chargent dans la peau.
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jean-paul gavard-perret
Jérôme Bertin, Un homme pend, Le Feu Sacré, Lyon, 2017, 48 p. — 9,00 €.