Brina Svit devient à travers ses nouvelles une sorte de dramaturge. Des incisions dans le réel renforcent le chaos qui en est la marque. L’auteure précipite l’image de l’amour en une suite d’abîmes.
Un homme veuf découvre le jardin de sa défunte dont il ignorait l’existence et que quelqu’un entretient. Un autre — jadis entouré — trouve pour tout sourire quotidien celui de la caissière de sa superette. Une femme qui mange debout ou sur son canapé et qui a horreur des fêtes de réveillon s’invente toute sortes d’occupations pour feindre de briser son marasme. Bref, l’amour se conjugue ici dans la solitude qu’il faut supporter tant que faire se peut. Elle est portée en un point de non retour là où les êtres touchent au “perdre voir” de leur existence ou de leurs illusions.
La créatrice fait parler le silence. Elle en déchire le voile afin d’atteindre les choses (ou le néant ?) qui se trouvent derrière. L’œuvre est délicate, discrètement ironique et envoutante. L’écriture n’ajoute rien, n’élargit rien, mais elle fait bien mieux. Elle renvoie à l’affolement dont elle sort en traduisant les cris muets de ses protagonistes. Chacun vaque sur une surface immobile et comme au-delà du monde. Les actes deviennent des lucioles dérisoires chez ces passants et passantes baudelairiens en collusion avec leur rien.
Brina Svit propose une révélation à partir de quoi tout pourrait (peut-être) recommencer. Mais avant cet éventuel avènement, elle souligne l’extinction de toute lumière au moment de l’absolu dénuement que devient la solitude lorsqu’elle est non choisie.
jean-paul gavard-perret
Brina Svit, Nouvelles définitions de l’amour, Gallimard, collection Blanche, 2017.