Dans le premier temps de son livre, Laly Picon entre dans le paysage des architectures « en dur » tout en s’en dissociant. Elle en transforme la « trivialité » selon un géométrisme quasiment abstrait. Il la pousse hors sol dans un univers de quasi fiction. A l’inverse, lorsqu’elle passe des « down-town » aux faubourgs les plus terribles (à savoir les camps de réfugiés en désir de Royaume-Uni via Calais), la vision change.
Aux artifices de constructions plastiques propres à créer une illusion poétique fait place une vision frontale, lucide où l’élément spatial dans lequel les migrants vivent est présenté sans le moindre effet. Néanmoins, et nouveau paradoxe, lorsque Laly Picon passe du paysage au portrait (des migrants), tout est fait pour « sortir » les visages de la misère ambiante. Les hommes sont beaux, rayonnants et pris sans aucun pathos. Si bien que dans le seul moment du livre où l’humain apparaît, il prend une dimension irénique.
L’ostentation possède toujours chez la photographe un aspect particulier : il s’agit d’une manière de se soustraire afin de mieux faire surgir les secrets les plus intimes d’un être ou d’un lieu. Laly Picon croise réel et abstraction par effet de buée. Lequel permet de comprendre à quel point le monde est construit sous une hybridation cruelle.
L’antagonisme dans le livre est non seulement de « genre » (portrait, paysage) ou de style (poétique, vériste) mais de monde. L’un est plutôt séduisant (il faudrait nuancer) et vide, l’autre misérable mais plein. Preuve que la photographe n’est pas dominée par le paysage. D’un côté, sa coupure. De l’autre, sa prolifération. D’un côté, une germination spatiale (ce que certains nomment un envahissement), de l’autre, une sorte d’absence et de désertification. L’œuvre devient le rebond, le suspens sur un sinistre en cours et d’autres que la créatrice sous-entend. Mais l’œuvre appelle autant un rêve d’accession à un monde où une pacification régnerait.
jean-paul gavard-perret
Laly Picon, Calaisfornia et autres mondes, Editions Corridor-Elephant, Paris, 2016.