Michel Tournier, Romans suivis de Le Vent Paraclet

Le corps et son trouble

Tout ce que Michel Tour­nier a écrit fut un moyen de tour­ner le monde et cer­taines phi­lo­so­phies en bour­rique pour leur don­ner un nou­veau mode d’emploi. L’auteur reste para­doxa­le­ment un clas­sique tout en trans­cen­dant les codes, styles, genres, cultures. Son œuvre sent le soufre mais de manière que les imbé­ciles ne s’aperçoivent pas de tels effluves. Cela reste du grand art et le moyen de s’extraire des pièges où un Tony Duvert s’enferma. Tour­nier fut plus pate­lin et sut jouer les maîtres capable de récon­ci­lier les êtres avec leur part d’ombre et du mas­cu­lin et du fémi­nin. Il s’agit d’atteindre la des­truc­tion de toute fixité des images. Dès lors, rien ne tombe direc­te­ment sous le sens. Néan­moins, l’œuvre est deve­nue gênante et elle est occul­tée. D’où l’impérieuse néces­sité de son entrée dans la Pléiade.

L’auteur sait tirer de tous les mythes — quelle qu’en soit la nature (his­to­rique, lit­té­raire ou reli­gieux) – bien plus que ce qu’ils ont donné. A ce titre, Tour­nier fut pris pour un nou­veau sage. Ce fut le mieux qui pou­vait lui arri­ver. Du moins en par­tie. Il est vrai qu’à l’inverse d’un Gide il n’avait pas une Made­leine à ses côtés pour épon­ger ce qui devait l’être.
Se défi­nis­sant comme un « fic­tion­niste », il apprend la déso­béis­sance envers non la pen­sée mais ceux qui le régissent et la régulent. Phi­lo­sophe, ger­ma­niste et écri­vain, Tour­nier dit n’avoir rien écrit qui ne décou­lait « secrè­te­ment et indi­rec­te­ment » de Pla­ton, Aris­tote, Spi­noza et Leib­niz. Mais il avance tou­jours mas­qué. Et il refusa toute théo­ri­sa­tion en optant pour la pure fiction.

L’auteur cache le roman phi­lo­so­phique sous les para­vents — et comme l’écrit Deleuze (à pro­pos de  Ven­dredi ou les Limbes du Paci­fique  - de « roman d’aventure, roman nudiste, comique, per­vers, cos­mique tout en rigueur et hymne ». Le secret de la créa­tion est donc laby­rin­thique. Elle est toute en trans­gres­sion et sub­ver­sion et rap­pelle la belle affir­ma­tion de Pierre Bour­geade : “Créer ne rend pas cou­pable. Et inno­cent pas plus.”

jean-paul gavard-perret

Michel Tour­nier, Romans sui­vis de Le Vent Para­clet, édi­tion éta­blie par Arlette Bou­loumé, Gal­li­mard, La Pléiade, Paris, 2017.

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