Le poète François Xavier évoque comment Christian Jaccard charpente son travail avec celui du feu et du détournement. A l’aide de peintures anonymes des plus quelconques retrouvées dans quelques brocantes, des peaux et autres papiers Jaccard entreprend un travail de restauration puis de brûlures. Il permet de faire jaillir une imprévisible lumière que leurs créateurs anonymes ne soupçonnaient pas. Par le trou qu’opère le feu dans la toile, une libération se produit là où s’adjoignent le travail des nœuds et celui des entrelacs accumulés en stalagmites que le « pyromane » résume sous le concept de « supranodal ».
Parfois l’artiste, quittant son atelier, s’empare de l’espace afin de créer ses tableaux éphémères en se confrontant à une friche industrielle ou à une ancienne mine. Ces «performances», ces « actions painting et burning » ont pour objet de brûler les murs et édifices afin de solliciter chez le spectateur une véritable expérimentation de l’acte créateur dans un processus bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Toutes ces Conversations (titre d’un livre « théorique » du plasticien) qui offrent un complément « d’enquête » majeur et pluriel sur l’art, le poète les complète de ses Lexies. Ce double codex (feu/nœud), Xavier le charpente sous l’égide de philosophes et/ou créateur du langage dont Schelling, Nietzsche, Klossowski, Bataille, Foucauld, Bachelard. Ces piliers deviennent des références pour expliquer comment réinsérer du ludique dans l’art ne revient pas à affirmer que l’art n’est pas sérieux. Pour Jaccard, il reste une activité suprême et suprêmement philosophique. Les gestes iconoclastes, primitifs, rupestres cachent une stratégie ambitieuse que F. Xavier met à nu. La suie sombre des traces y devient voluptueuse et les nœuds provoquent d’étranges chapelets et une hantise de l’air. Entre les érections textiles et les volutes des fumées une jonction se produit.
Dans les deux cas, la déformation est incessante. L’imaginaire en marche crée des productions aléatoires et des perceptions du même tabac. Et comme Jaccard s’est laissé porter par exemple vers l’œuvre « nuageuse » de Hendrik Breitner, F. Xavier s’est « pendu » à celle du premier parce qu’il y a trouvé une confrontation avec ce qu’il cherche dans tout son travail poétique. Ce que Jaccard laisse vacant, le poète le fixe. Les deux regardent ailleurs mais pour voir autrement ici-même, ici-bas, sans propension mystique mais dans une matérialité en rien matérialiste.
jean-paul gavard-perret
François Xavier, Lexies de l’œil – Dialogue avec Christian Jaccard, Les éditions du Littéraire, Paris en coédition avec la Galerie Valérie Bach, Bruxelles, 2017, 150 p. — 20,00 €.
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