Ces dernières années en France, plus personne ne se préoccupait de ce livre, Mein Kampf. Il sombrait doucement dans l’oubli lorsque la nouvelle s’est répandue. Il allait tomber dans le domaine public au 1er janvier 2016. Jusqu’alors les droits, si droits d’auteur il y avait, étaient perçus par le Land de Bavière. La polémique, en France, s’est déchaînée, a enflé avec l’annonce, par Fayard, de publier une édition critique sous la conduite d’une équipe d’historiens. Les opposants et les partisans ont avancé des arguments plus ou moins convaincants, plus ou moins pertinents. Mais, qu’en est-il exactement ? Aujourd’hui qui peut avancer avoir lu, dans le texte, ce pavé de presque 800 pages ? Le mieux placé pour en parler reste celui qui en a commencé la transcription, Olivier Mannoni. Il s’attache à en faire une traduction qui colle à la prose d’Hitler dont l’allemand est, dit-il, tout simplement abominable.
Claude Quétel propose, dans son essai, non pas la lecture de Mein Kampf mais pose (et répond !) à dix questions décisives sur la genèse et le contenu du livre, sur l’impact avéré tant en Allemagne que dans le reste du monde, son incidence sur les thèses du IIIe Reich et sur la Seconde Guerre mondiale. Dans un premier chapitre, Claude Quétel brosse à grands traits la vie d’Hitler jusqu’à la rédaction du livre, de son enfance chaotique à son emprisonnement en passant par ses errances tant physiques qu’idéologiques. Ensuite, il évoque les conditions de rédaction à la forteresse de Landsberg puis près de Berchtesgaden et les grands thèmes autour desquels est construit le livre. Il donne ainsi, une synthèse de l’ouvrage qui, lors de l’édition complète en 1930, faisait 782 pages en caractères serrés. Nombre de spécialistes doutent qu’Hitler ait rédigé un tel manuscrit. Il est plus que probable que ces textes aient été dictés à des proches transférés à Landsberg comme Emil Maurice et Rudolf Hess.
Mais que dit Mein Kampf ? La première partie, intitulée Bilan, comporte douze chapitres qui s’articulent essentiellement sur une autobiographie revisitée et sur un pathos fatigant et indigeste de déclarations d’intention. La seconde qui porte en sous-titre Le mouvement national-socialiste brosse l’histoire du NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands), de la proclamation de son programme en 1920 au putsch de Munich en 1923. Elle comporte plus de considérations idéologiques et doctrinaires alors que le rédacteur-dictateur se campe : “…à la fois en idéologue, en théoricien, en politique, en homme d’action qui réalise l’idée.” Mein Kampf définit une doctrine pseudo-scientifique du racialisme (traduction de völkish), concept d’Hitler. Il véhicule et martèle des idées sur le sang, la race, le juif et un antisémitisme de combat, le chef héroïque, l’État racialiste, le glaive, l’avènement du Reich idéaliste. Si les crimes à venir ne sont pas écrits dans le livre, ils sont dits.
Claude Quétel consacre trois parties relatives à la diffusion de l’ouvrage. D’abord en Allemagne où, dictature oblige, elle atteindra finalement, en 1945, le chiffre de 12 450 000 exemplaires. Sa diffusion en France se fera régulièrement à partir de Mein Kampf expurgés des passages où le pays est violemment mis en cause. Dans le reste du monde, le volume des éditions sera variable mais n’atteindra jamais celle d’un best-seller. Puis après la guerre, la bible du nazisme tombe dans un oubli relatif en Europe. Des résurgences apparaissent mais sans que ce soit significatif d’une nouvelle émergence. Ce qui n’est pas le cas dans nombre de pays du Moyen-Orient où l’antisémitisme et l’antisionisme sont très présents. Puis l’historien termine ce superbe essai par une série de questions qui restent en suspens. Faut-il brûler Mein Kampf ? Faut-il l’interdire ? Le faire paraître, mais comment ?
Documenté, étayé des meilleurs sources, Tout sur Mein Kampf est précieux pour se faire une idée du livre, apprécier son contexte, son contenu avec les implications sous-tendues. Plutôt que lire ce livre dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est indigeste, parcourez plutôt le présent ouvrage qui a le mérite de prendre du recul et de la hauteur.
serge perraud
Claude Quétel, Tout sur Mein Kampf, Éditions Perrin, janvier 2017, 288 p. – 14,90 €.