Beaucoup ont pris Félix Fénéon pour un écrivain comparable à certains peintres. A savoir « du dimanche » » et qui plus est qui serait mort un samedi au pied d’une page blanche. Et ce, pour le simple fait qu’il écrivait des Nouvelles en trois lignes - ce qui soulignerait un certain jemenfoutisme. C’est — et entre autres — oublier que l’auteur fut un critique informé et pénétrant et un personnage énigmatique jusqu’en ses allures de Diable (visage long et maigre ponctué d’une barbiche). L’auteur que Jarry avait surnommé « Celui qui silence » possédait le goût des travaux indirects qui caractérisent les auteurs de l’effacement.
Son oeuvre est restée longtemps dispersée en milliers d’articles signés ou non. Mais la postérité a entériné la plupart de ses choix : il a sut imposer Seurat et les néo-impressionnistes, et a édité Rimbaud et Jules Laforgue. Son rôle est resté souterrain mais considérable. Et ses nouvelles le demeurent tout autant. On en citera trois — pour l’exemple :
“Un cadavre carbonisé, tel l’aspect de Mme Desméat, d’Alfortville, victime d’une lampe à pétrole. Pourtant, elle respire encore.”,
“Tout le plomb destiné par M. Pregnart aux perdreaux des Alluets-le-Roi, c’est son ami Claret qui le reçut, et dans la croupe.”,
“Des rats rongeaient les parties saillantes du chiffonnier Mauser (en français Ratier) quand on découvrit son cadavre à Saint-Ouen. ”
Mystificateur flegmatique imperturbable au verbe rare et assassin, celui qui fut rédacteur au ministère de la Guerre tout en collaborant activement à la presse libertaire évita de faire pleuvoir à tout crin des phrases. Sa polyphonie du monde tel qu’il est offrit une médecine littéraire aussi douce que fractale donc efficiente.
Ses minuscules nouvelles créent une vitrine poétique d’un monde hors de ses gonds. L’auteur cultive l’incongruité en contre-allée du réel. Quoi de plus propice à la liberté ? Et pas seulement de ton. Il inflige au quotidien des camouflets, avec doigté, en rien castrateur. Bien au contraire. Si l’avant-garde veut encore dire quelque chose, elle jaillit chez Fénéon.
L à où tant d’écrivains encombrent de leurs logos, l’auteur fait éclater le train-train cadenassé. Le tout dans sa fausse paresse. Elle cache des impulsions foudroyantes. L’écrivain sut s’extraire la nuit du monde au sein de sa solitude épanouie.
jean-paul gavard-perret
Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, Illustrations de Philippe Helénon, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2017, 64 p.