Avec Fragments de sol, Christine Célarier devient renarde. Elle flaire les précipités de la terre et sa végétation selon un découpage temporel : chaque mois impose une exploration particulière en une suite de cérémonies secrètes. En Juillet il s’agit par exemple “d’écarter doucement les herbes sèches sans briser les jeunes épis”. Ce recueillement votif se termine ainsi et selon une quête quasiment métaphysique : “Recouvrir soigneusement avec les herbes sèches sans briser les jeunes épis. Le secret sera gardé, la mémoire est sauve” et une boucle est provisoirement bouclée.
L’imaginaire suit les inclinaisons des lieux, leurs brindilles et buissons : l’esprit s’en nourrit, s’y réenchante : “des âmes lilliputiennes” occupent de tels lieux, “coucheront sur des grandes terrasses claires leurs corps minuscules avides de chaleur”. L’erreur de direction ou la profanation des “sourdes entrailles” y est toujours assumée comme potentiel créatif. Celui-ci révèle des bouleversements qui renvoient à ceux de l’être. Se crée une communion intime et charnelle jusqu’au moment où la flore est remplacée par l’animal (la truie) et la cruauté de ceux qui le tuent en un paradoxal cycle de vie.
Comme dans son œuvre plastique, Christine Célarier aime flirter avec diverses types de perspectives, voire jouer avec le feu pour son ombre comme pour sa lumière. Tout ce qui pourrait être hystérisé est canalisé en jouant sur le clavier des sens de manière voluptueuse, poétique. Existe là un superbe voyage dans le ténu et le cosmique, le réel et l’imaginaire. L’aura de l’ensemble reste tout compte fait rassurante.
Fidèle au principe cher à la poétesse Emily Dickinson qui travaillait selon un cercle en élargissement progressif , Christine Célarier va d’éléments en éléments premiers minéraux et végétaux en ajourant de plus en plus le disque de visibilité. Son travail oscille en un double mouvement de diffusion et d’absorption. L’objectif reste toujours le même : s’éloigner des vulgates esthétiques ou idéologiques en choisissant des chemins de traverse et l’auscultation du ténu. Il permet des études aussi physiques que métaphysiques, des interactions entre la matière et l’esprit et crée une émotion générique. Jaillissent la différence dans la similitude, l’altérité dans la ressemblance, la répulsion et l’ivresse des sens. Ces dialectiques sont suffisamment rares pour être soulignées et permettre de considérer ce texte comme majeur en ses foisonnements obscurs et solaires.
jean-paul gavard-perret
Christine Célarier, Fragments de sols, Littérature Mineure, Rouen, 2017.