L’âme Slave, la dignité des Berbères, Haïti et son histoire : entretien avec l’artiste Claudia Brutus

Les por­traits de Clau­dia Bru­tus sont des écrins à han­tises aux­quels leur créa­trice donne une pro­priété ludique et trou­blante. Les formes sont pré­cises mais par­fois se dis­solvent selon des angles par­ti­cu­liers. L’apparentement laisse entre­voir des pro­fon­deurs plus ou moins cachées dans un jeu de dis­tances et de rap­pro­che­ments. Le des­sous est aussi un des­sus. Le monde devient une étoffe colo­rée dans sa dia­pha­néité selon des jeux de zones chro­ma­tiques aci­du­lées et une nar­ra­ti­vité fluc­tuante. Une buée est souf­flée sur la face du miroir d’Alice pour de sub­tils halos.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je me lève natu­rel­le­ment tôt et sou­vent de bonne humeur pour enta­mer une nou­velle jour­née. C’est for­ce­ment lié à la joie d’exercer un métier que j’aime !

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils sont en moi. J’en ai réa­lisé quelques uns mais je me laisse conduire par l’enfant que j’étais pour conti­nuer de rêver.

A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé à por­ter des talons, à ne plus avoir peur des ser­pents, des reptiles…

D’où venez-vous ?
D’ici et d’ailleurs.… J’adore cette ques­tion parce qu’ en gené­ral celui qui me l’a pose ne sait pas qu’il en a pour une demi-heure ! Je suis née en Algé­rie d’un père Haï­tien et d’une mère bul­gare. J’ai passé ma petite enfance en Bul­ga­rie, mon ado­les­cence au Maroc et je suis venue en France à l’âge de 18 ans pour étu­dier aux Beaux-Arts de Paris. J’y suis res­tée depuis.

Qu’avez-vous reçu en « héri­tage » ?
J’ai reçu en héri­tage Haïti et son his­toire, les taï­nos, l’esclavage, l’exil, la dia­spora .…mais aussi une rela­tion très forte à la lit­té­ra­ture, à la pein­ture.
J’ai reçu en héri­tage l’âme slave et la dignité des Ber­bères.
J’ai reçu en héri­tage l’universalité.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
J’ai dû pla­quer ma famille, mes amis, des pay­sages gran­dioses, des cieux cou­leur d’encre étoi­lés, le par­fum des tilleuls en fleurs, le bleu pro­fond du ciel, les plaines ver­doyantes de nar­cisses , les enfants jouant dans les rues… J’ai dû pla­quer les fon­da­tions même de mon uni­vers à ce moment-là.…

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
La lec­ture pour m’endormir. Les livres sont mes maîtres à rêver !

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Ma sin­gu­la­rité, mon his­toire …mais chaque artiste est unique.

Com­ment définiriez-vous votre approche de la fémi­nité ?
Je ne sais pas .…la fémi­nité vient de l’intérieur, on la porte en nous et elle n’a nul besoin d’artifices exté­rieurs pour exister…une sen­si­bi­lité , une force , une poé­sie , une grâce , une élégance…

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pella ?
Les pay­sages de mon enfance, l’immensité de la nature , la beauté de la rivière en été…
Le sou­ve­nir pur qui n’a pas de date mais qui a un par­fum, une sai­son. La mémoire de mon appar­te­nance au monde.

Et votre pre­mière lec­ture ?
J’adorais lire toute petite… je cachais mes livres sous mon oreiller comme un dou­dou ! Je me sou­viens d’être pas­sée, non sans dif­fi­cul­tés, de l’alphabet cyril­lique à l’alphabet latin et à la cal­li­gra­phie lorsque je suis allée vivre au Maroc à l’âge de 7 ans. Mes pre­mières lec­tures furent à chaque fois des contes pour enfants.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute en boucle les albums de Rover, Edi­tors, Armand Méliès, Poni Hoax , Inter­pol , Anohni .…ils ne sont pas nom­breux mais ils m’accompagnent tous les jours à l’atelier.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne relis que de la poé­sie … Paul Eluard, Charles Bau­de­laire, Vic­tor Hugo, Sté­phane Mal­larmé, Nova­lis, Shel­ley, Charles Juliet, Edgar Poe, Jean Tar­dieu, Anna de Noailles..
Et des écrits phi­lo­so­phiques, Gas­ton Bache­lard …je ne m’en las­se­rai jamais.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je peux ver­ser toutes les larmes de mon corps …
“Brea­king the waves de Lars “Von Trier
“Les bêtes du sud sau­vage” de Benh Zeit­lin
“La cou­leur pourpre” et “ET” de Ste­ven Spiel­berg
“Le tom­beau des lucioles “de Isao Takahata

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je vois l’enfant, la jeune fille ‚la femme , la mère , l’artiste que je suis devenue .…

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A ma mère

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Haïti, l’île de la tor­tue et l’Amazonie.

Quels sont les écri­vains et artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Je me sens proche des poètes… L’homme a un des­tin poé­tique ! La poé­sie ren­force en nous le sujet qui regarde et com­prend le monde .
Je me sens proche des écri­vains Wajdi Moua­wad , Albert Cossery…du peintre Peter Doig, Le doua­nier Rous­seau , de nom­breux peintres de la renais­sance italienne…il y en a tel­le­ment, j’admire tant d’artistes !
Je me sens proche des pre­miers artistes …de l’art rupestre, de l’art parié­tal , des arts pre­miers, de l’art abo­ri­gène australien…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un billet de train pour une des­ti­na­tion lointaine…partir voir ailleurs.

Que défendez-vous ?
Je défends le droit à la dif­fé­rence, la tolé­rance, la bien­veillance, la dignité , la liberté de vivre la vie que l’on a choisie…

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Pas très poé­tique , trop tordu pour moi… Je pré­fère celle de Wajdi Moua­wad : “Il y a des êtres qui nous touchent plus que d’autres, sans doute parce que sans que nous le sachions nous-mêmes , ils portent en eux une par­tie de ce qui nous manque”.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Belle esquive.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Aucune, j’ai trop parlé de moi là…

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 6 février 2017.

1 Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Entretiens, Erotisme

One Response to L’âme Slave, la dignité des Berbères, Haïti et son histoire : entretien avec l’artiste Claudia Brutus

  1. Paviot

    Tou­chante pré­sen­ta­tion d’artiste, belle découverte.

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