Mark Winkler, Je m’appelle Nathan Lucius

Une plon­gée fas­ci­nante dans l’intime d’un individu

L’auteur pré­sente son livre de façon sin­gu­lière, comme : “Un roman en 67265 mots”. La pre­mière par­tie s’intitule “Après”. Chaque titre de cha­pitre reprend les pre­miers mots du texte qui le com­pose. Le per­son­nage prin­ci­pal, qui est éga­le­ment le nar­ra­teur, porte un regard sans amé­nité sur le monde qui l’entoure, se com­plaît dans une vie ran­gée, ne veut pas de sou­ve­nirs et se construit une famille avec des albums pho­tos qu’il achète et dont il se sert pour éla­bo­rer, sur le mur de son stu­dio, un arbre généa­lo­gique. Qui est Nathan et d’où vient-il ?

Nathan Lucius, à trente et un ans, vit seul dans la ville du Cap en Afrique du Sud. Il est un ardent défen­seur de son inti­mité, de son pré carré. Il tra­vaille dans un quo­ti­dien pour lequel il vend des espaces publi­ci­taires. Il aime que sa vie soit bien réglée, que : “…chaque jour res­semble à la veille.” Il fré­quente Sonia, sa chef, qu’il retrouve au bar d’Éric, après le tra­vail, pour boire des bières. Il a pour amie Madge qui tient un maga­sin d’antiquités, c’est comme ça qu’elle appelle ce qu’elle vend. Il court tous les jours et n’est pas très soi­gné de sa per­sonne. Comme lui dit Sonia, “Tu pues”. Il a pour voi­sine Mme Du Toit, une veuve qu’il entend se mas­tur­ber. Il la ren­contre sur le palier alors qu’elle tente de faire ren­trer un sèche-linge chez elle. Il lui pro­pose son aide et com­mence avec elle une rela­tion épi­so­dique, mais brû­lante. Il n’a pas de gros besoins d’argent. Aussi quand il décroche un gros contrat qui lui assure une com­mis­sion très confor­table, il se laisse un peu aller.
Madge souffre d’un can­cer. Elle souffre tant : “Je suis plus mal que Jésus sur sa croix et c’est de pire en pire chaque jour.” Elle lui demande de l’aider… de la tuer. Et il s’exécute ! Et puis Sonia le convoque dans son box, lui annonce dif­fi­ci­le­ment que, mal­gré son côté spé­cial, il n’a plus que le choix entre démis­sion sans indem­ni­tés et licen­cie­ment. Elle lui conseille la seconde option. Et tout bas­cule, le récit revient en arrière…

Le livre est à la pre­mière per­sonne et c’est le nar­ra­teur qui se dévoile, qui relate les dif­fé­rents évé­ne­ments qui consti­tuent sa vie, une vie qu’il entend pro­té­ger contre la moindre incur­sion. Il porte un avis sur nombre de situa­tions qui l’entourent, semble maî­tri­ser son envi­ron­ne­ment. Avec ce récit, on vit au jour le jour l’existence d’un type ordi­naire qui mène une vie banale, engoncé dans un train-train qu’il sou­haite, qu’il entre­tient, une rou­tine que, d’une cer­taine manière, nous vivons tous. Le roman­cier ne cache rien de l’existence de son per­son­nage, de ses pen­sées les plus intimes, de sa sexua­lité, avec des images fortes, peu com­munes.
Mark Wink­ler réus­sit le tour de force de nous inté­res­ser à un récit presque cou­rant. Et puis tout change et il nous fait bas­cu­ler dans un autre uni­vers, celui des hôpi­taux psy­chia­triques, des déments et de leurs soi­gnants. Com­ment cette par­tie du récit rejoint-elle la pré­cé­dente ? Quels sont les liens ? Pour­quoi Nathan est-il là ? Appa­rem­ment, il n’en sait rien… et le lec­teur non plus. Cepen­dant, peu à peu, se révèle ce qui était en train de se tra­mer à tra­vers les lignes, les réflexions, les inter­ro­ga­tions, les atti­tudes du héros. Le roman­cier berne son monde, prouve que la fron­tière est mince entre démence et nor­ma­lité, entre folie et raison…

Ecrit dans un style direct avec un voca­bu­laire adapté aux per­son­nages, ce récit ne se lâche pas tant il est addic­tif. Ce livre a tout d’une excep­tion lit­té­raire par la vir­tuo­sité nar­ra­tive de Mark Winkler.

serge per­raud

Mark Wink­ler, Je m’appelle Nathan Lucius (Was­ted), tra­duit de l’anglais – Afrique du Sud – par Céline Schwal­ler, Métai­lié, coll. “Biblio­thèque anglo-saxonne”, jan­vier 2017, 240 p. – 20,00 €.

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