Claudio Giunta, Solovki

Le noir dans la mer Blanche !

C’est un vieux film, en noir et blanc, qui a décidé Enrico Sara­ceno à par­tir pour l’archipel Solovki, des terres per­dues en mer Blanche. Il entraîne Fabio et Fran­cesco, ses amis de tou­jours dans le voyage sous le cou­vert d’une mis­sion de res­tau­ra­tion d’un monas­tère par l’UNESCO.
Gal­liano, le direc­teur de Fatti, un jour­nal mila­nais, convoque Ales­san­dro Capace, un jour­na­liste à la vie dif­fi­cile, pour qu’il traite de la dis­pa­ri­tion de trois jeunes ita­liens. Il a pensé à lui car les dis­pa­rus habitent Flo­rence comme lui. L’idée est de contac­ter les familles, inter­vie­wer parents, fian­cées, amis… et de tirer de cette his­toire le plus de sang et de mys­tère pos­sible.
Ales­san­dro débute son enquête, ren­contre les mères des trois gar­çons, les proches, contacte un poli­cier à l’Interpol de Rome qui lui livre les consta­ta­tions et les conclu­sions de la police russe. Ils ont dis­paru au moment où ils devaient ren­trer, lais­sant toutes leurs affaires sur place. Peu à peu, il se fait une idée de ces trois gar­çons unis par une ami­tié mas­cu­line depuis le lycée. Le jour­na­liste com­prend qu’il lui faut se rendre sur les lieux pour ten­ter d’en savoir plus. Ses pre­miers papiers satis­fai­sant la direc­tion du jour­nal il obtient le feu vert pour par­tir, tous frais payés, avec un inter­prète. Il contacte alors Julia, qui n’a jamais vrai­ment quitté ses pen­sées, qu’il a connue quand il était à l’université. Elle était mariée à un richis­sime méde­cin. C’est avec joie qu’il apprend qu’elle en est sépa­rée depuis.
Sur place, l’affaire prend une tour­nure mena­çante avec les rémi­nis­cences d’un lourd passé. Et, quelle pou­vait être la moti­va­tion d’Enrico pour se lan­cer dans cette aven­ture et entraî­ner ses deux amis ?

Le cadre retenu par l’auteur, s’il est enchan­teur au début, lorsque l’action se déroule dans Flo­rence, prend vite un côté sinistre. Cet archi­pel, après une longue période sacrée grâce à un monas­tère réputé, est devenu un enfer, d’abord sous le régime du tsar, puis sous Sta­line. C’est en 1923 que l’abject géor­gien déporte les oppo­sants fai­sant de ces lieux ce qu’Alexandre Sol­je­nit­syne a appelé : “La mère du Gou­lag”, un lieu d’expérimentation de ce qui allait deve­nir la règle sur l’ensemble du ter­ri­toire de l’URSS. Entre 1923 et 1939, le nombre exact des inter­nés reste inconnu. Des esti­ma­tions le chiffre entre des dizaines et des cen­taines de mil­liers de vic­times.
Clau­dio Giunta raconte une enquête jour­na­lis­tique à la pre­mière per­sonne, Ales­san­dro Capace fai­sant par­ta­ger ses réflexions, ses sen­ti­ments, les axes de sa pros­pec­tion, rela­tant ses ren­contres et la pro­gres­sion de ses recherches. La ten­sion est pal­pable dès le début avec cette dis­pa­ri­tion qui, au fil des infor­ma­tions obte­nues, devient de plus en plus inquié­tante car l’espoir de retrou­ver vivant les trois Flo­ren­tins s’amenuise.

L’auteur dresse, au cours de son récit, une série de por­traits fas­ci­nants de pré­ci­sion et de jus­tesse. Mélan­geant ren­contres pro­fes­sion­nelles et per­son­nelles, mixant les élé­ments de son enquête et de sa vie pri­vée, il construit une gale­rie de per­son­nages d’une grande attrac­ti­vité. Il livre son sen­ti­ment sur nombre de sujets, des appré­cia­tions sur ce qu’il voit qu’il constate, sur l’évolution de la société, de sa ville, de sa vie. Il raconte ses déboires, ses ratages, ce que Flo­rence est devenu avec ce flot de tou­ristes, l’organisation de ces anni­ver­saires fas­tueux pour des bam­bins qui n’en n’ont rien à faire…
Avec le trio, il raconte cette ami­tié qui résiste au temps, qui passe avant le reste et porte toute une réflexion sur une géné­ra­tion de tren­te­naires un peu per­dus. Avec Julia, il fait évo­luer les émo­tions, les sen­si­bi­li­tés res­sen­ties lors d’une rela­tion qui se construit.

Cette enquête génère une intrigue forte avec, en toile de fond, un décor dan­ge­reux, un lourd passé qui inter­fère sur le pré­sent, un jeu avec les indices et une vérité qui n’est jamais là où on l’attend. Clau­dio Giunta signe un inso­lite roman avec un superbe anti­hé­ros qui se révèle, cepen­dant, à la hau­teur de ce qu’il a entre­pris, pro­po­sant une intrigue sub­tile, riche en sur­prises de toutes natures, supé­rieu­re­ment menée, pas­sion­nante à suivre.

serge per­raud

Clau­dio Giunta, Solovki (Mar Bianco), tra­duit de l’italien par Marc Lesage, Édi­tions du Masque, jan­vier 2017, 312 p. – 20,90 €.

Leave a Comment

Filed under Pôle noir / Thriller

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>