Anne Wiazemsky renoue avec un genre oublié, celui de la prose d’édification. Il existe sans doute une raison : ce nouveau pan biographique fait suite à la version de l’auteure de son « vivre sa vie » avec Godard. Si bien que l’autofiction en ses jeux de piston devient un acte de contrition et de repentance. Après les mini jupes vient l’époque de celle plus longue et austère du bon père qui joue les repères. Le père Deau (c’est son nom) n’est pas un perdreau de l’année et il n’est pas de ceux dont la spécialité est de conter fleurette à des paroissiennes ou des écolières. Les ogives qui l’appellent ont des valeurs plus symboliques que celles de la silhouette d’une belle pécheresse. Le bon père fait tout pour sortir Anne d’une débâcle annoncée. Et celle qui a toujours cherché des modèles masculins trouve en lui la poudre de père linpinpin, mystique mi-raisin.
Astucieux, plutôt que de dresser un mur devant la future auteure, il ouvre une fenêtre. Et celui qui fut son professeur de français (nul n’est parfait) lors de ses études en institution religieuse remplace le rapport maître-élève par une amitié intellectuelle au long cours. Anne Wiazemsky trouve donc le guide qui l’emmène — entre autres — sur les voix du féminisme par un humaniste du meilleur goût. Hélas ! et comme l’a si bien dit Gide, les bons sentiments ne vont pas à la bonne littérature comme le taureau à sa promise. Ici, la dévotion spirituelle « abstractise » à l’extrême les vanités nettoyées de la vanité et plonge le lecteur dans un profond ennui sauf à ceux qui aiment les histoires édifiantes.
Si l’auteure édulcore l’herméneutique savante, elle n’évite pas le sommeil. Le livre est certes gentil mais monochrome. Celle qui était môme aux chromes perd son pesant de peps. L’immersion dans le domaine de l’esprit manque de matière. Et le livre semble hors sol au prisme du souvenir. Certains estimeront que la lucidité est portée par une tension très forte, d’autres qu’elle reste encore une vue de l’esprit, un artefact. Le tout avec l’impression de devoir à chaque instant reprendre le fil qui s’emmêle, qui casse, qui se maintient serré dans une main presque vide.
La fiction reste en un état intermédiaire entre absence et présence de celui qui sauva de son intranquillité maladive celle qui trouva son “Ainsi sois je “. Pour autant, un bon père ne fait pas forcément un bon livre.
jean-paul-gavard-perret
Anne Wiazemsky, Un saint homme, Gallimard, 2017.
Je ne me suis pas ennuyé un instant. Le sujet n’est pas banal et la fin en est très émouvante. L’auteur dresse un portrait très attachant de ce prêtre si respectueux de l’évolution de cette jeune femme, en qui il a décelé une inaltérable pureté, bien qu’elle chemine sur des voies qui auraient pu le déconcerter. On aurait aimé, en fin de livre, une conversion, mais l’auteur — rigoureusement honnête — ne cède pas à ce qui serait une facilité et transformerait ce témoignage en un roman. Ce qu’il n’est pas.
comment peut-on détruire avec autant de mépris un aussi beau récit?
Sincérité et sensibilité. Ce jeune prêtre se lie d’une amitié intellectuelle avec une gamine, petite-fille de Mauriac, pas pimbêche comme il le craignait la retrouve 25 ans plus tard, après une “carrière” auprès de chrétiens de base du Cameroun. Il est comme le filigrane de sa vie, discret, la soutenant toujours, espérant qu’elle revienne à la foi, mais sans illusion. Sans porter de jugement sur une vie dont il ne connait pas tout mais qu’il imagine. Quant à elle, elle reprend avec lui leurs conversations à bâtons rompus qui faisait le sel de sa vie de lycéenne à Caracas. Il est un des acteurs de sa vie, qui compte pourtant tellement d’étoiles brillantes. Et pourtant c’est sans elle qu’il disparait. J’ai aimé ce petit livre émouvant et simple.