Laurent Dandrieu,Eglise et immigration : le grand malaise. Le pape et le suicide de la civilisation européenne

Le pape et les migrants

Oser cri­ti­quer le pape Fran­çois, en plus sur ses posi­tions en matière migra­toire, consti­tue un acte de cou­rage que d’aucuns assi­mi­le­raient à un crime de la pen­sée pur et simple. C’est pour­tant ce que fait avec luci­dité et pré­ci­sion Laurent Dan­drieu dans un livre qui n’est ni un cri de colère ni un pam­phlet mais une ana­lyse ser­rée et impla­cable de la pos­ture adop­tée par le sou­ve­rain pon­tife mais aussi par ses pré­dé­ces­seurs sur la ques­tion capi­tale des migra­tions qui secouent l’Europe.
La ques­tion de départ est simple : « Com­ment est-on passé de Lépante à Les­bos ? », de la bataille qui, sous l’impulsion de Pie V, sauva la chré­tienté de l’invasion otto­mane à l’île grecque de laquelle Fran­çois ramena des immi­grés musul­mans et non chré­tiens ? Laurent Dan­drieu se penche, textes à l’appui, sur les évo­lu­tions du magis­tère à pro­pos du phé­no­mène migra­toire et qui pousse la papauté à une sorte de « sanc­ti­fi­ca­tion de la migra­tion ».

Le constat de l’auteur est sévère : les papes suc­ces­sifs ont réduit l’immigration à son aspect maté­riel et non cultu­rel, n’ont jamais pris en compte les pays d’accueil sauf pour pous­ser leurs popu­la­tions à accep­ter l’arrivant et/ou pour cri­ti­quer leur sup­po­sée xéno­pho­bie, et ont en fin de compte pré­senté les migra­tions pla­né­taires comme l’expression ter­restre de la famille humaine et comme la pré­fi­gu­ra­tion de la cité céleste sans fron­tières.
Bref, l’Eglise tom­be­rait depuis les années 1960 dans une sorte de mon­dia­lisme qui lui ferait oublier toute sa doc­trine, pour­tant si cohé­rente et équi­li­brée, sur la nation et l’attachement que les fidèles doivent lui por­ter. Même si ses pré­dé­ces­seurs – y com­pris Benoît XVI – ont pré­paré le ter­rain, le pape Fran­çois accé­lère la dyna­mique. Les cri­tiques de Laurent Dan­drieu sont fortes sur ce pape capable de dire tout et son contraire, adepte des for­mules à l’emporte-pièce et qui semble consi­dé­rer que l’islam a toute sa place en Europe et qu’il doit être traité à éga­lité avec le christianisme.

Le livre décor­tique avec soin tout le pro­ces­sus ouvert par le concile Vati­can II de dia­logue avec l’islam fondé sur la cer­ti­tude que celui avec qui l’on dis­cute le veut bien, sur l’affirmation que chré­tiens et musul­mans ont le même Dieu, voire par­tagent une iden­tique voie vers le salut. A cet égard, cer­tains pro­pos du pape actuel et de plu­sieurs évêques, par­fai­te­ment véri­diques, laissent pan­tois. Et on ne peut s’empêcher de faire le paral­lèle avec la période de la Guerre froide, des folles années 1970 vers les­quelles Fran­çois ramène l’Eglise sur bien des points. A cette époque aussi, de doctes clercs, y com­pris au plus haut som­met, œuvraient à dif­fé­ren­cier com­mu­nisme et sovié­tisme, à récon­ci­lier Marx et le Christ, à jeter des ponts, à favo­ri­ser une culture de la ren­contre entre mili­tants com­mu­nistes et chré­tiens. Tout cela au mépris des aver­tis­se­ments de l’Eglise du silence qui, mar­ty­ri­sée de l’autre côté du rideau de fer, connais­sait mieux le com­mu­nisme que les évêques fran­çais… L’histoire se répéterait-elle avec les chré­tiens d’Orient ?
En vérité, on assiste à une nou­velle expres­sion de la crise qui secoue l’Eglise et la papauté depuis les années 1970 et qui pousse à une inter­pré­ta­tion pro­gres­siste – pour ne pas dire gau­chi­sante – de la doc­trine catho­lique. Pour l’auteur, l’Europe telle que le chris­tia­nisme l’a façon­née, est peu à peu anéan­tie par ses propres élites post-chrétiennes et par l’islamisation. Face à un tel bou­le­ver­se­ment, écrit-il, « l’Eglise donne le sen­ti­ment qu’elle a passé l’Europe par pertes et pro­fits. » Un tel aban­don est-il donc pos­sible et même conce­vable ? On ne peut le croire.

Le défi s’avère donc immense et même vital afin de don­ner tort aux paroles désa­bu­sées du prince Salina, le héros du Gué­pard, lan­cées à son confes­seur : « Croyez-vous, Mon Père, que si main­te­nant ou plus tard, l’Eglise pou­vait se sau­ver en nous sacri­fiant, elle hési­te­rait à le faire ? Pas une seconde. Et elle ferait bien. »

fre­de­ric le moal

Laurent Dan­drieu, Eglise et immi­gra­tion : le grand malaise. Le pape et le sui­cide de la civi­li­sa­tion euro­péenne, Presses de la Renais­sance, jan­vier 2017, 307 p. — 17,90 €.

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