En lisant, en écrivant : Cécile Wajsbrot
Cécile Wajsbrot croit à la force du roman : elle refuse la défiance et la dérision qui se portent sur lui. Elle s’y engage dans une épreuve de confiance qui peut se qualifier de « morale » en cherchant à élargir l’horizon en éliminant l’aspect polémique qui l’anima jadis. Faisant preuve d’une modestie sans complaisance, l’auteure souligne la difficulté de trouver des marques solides. Elle admire d’ailleurs ceux qui trouvent d’emblée leur domaine d’exploration comme Frédéric-Yves Jeannet qui, pour l’auteure, « reprend toujours le fil là où il l’a laissé et, sans refaire le même livre ». Cécile Wajsbrot rêve de parvenir à une telle unité même si, pour elle, chaque roman nouveau l’oblige à bifurquer loin de son idéal.
Pour autant, chaque livre de la créatrice est une étape. Le passé y est évoqué mais surtout le présent et l’avenir sans que rien ne soit joué d’avance entre zones et trouées, vides et pleins. Existe donc une recherche rare et trop méconnue. Pour Cécile Wajsbrot, écrire est liée à la lecture. Entre deux livres, l’auteure se contente “d’écrire éventuellement des textes courts, en continuant de prendre des notes” sans toucher à l’intégrité “physique” des livres qu’elle considère comme sacrés. Elle lit surtout des romans et de la poésie, et relit rarement sauf exceptions. Elle cite Proust, Virginia Woolf et Au-dessous du volcan pour leur approche des profondeurs de l’être, de la société, de la création, l’amour de la forme, de l’invention, du langage.
Ecrire est devenue au fil des ans moins une question de survie que celle de l’enracinement dans une altérité. A ce titre, le roman est pour elle la forme idéale. Fréquentant autant le roman classique que le Nouveau Roman, Cécile Wajsbrot a trouvé peu à peu son espace loin de toute reproduction, autofiction ou sacralisation de l’écriture en cherchant une adéquation dialectique entre le monde et sa représentation. Son travail est un moyen d’appréhender la postmodernité, son univers de la confusion et de la prolifération même si, écrivant, la romancière doit faire abstraction de tout le reste pour ce « tout ce qui reste » dont parle Beckett. Existe donc un double mouvement de repli et de porosité, de présence et d’absence, d’implication et d’abstraction dans et hors du monde. Et ce, au moment où il s’agit pour la créatrice de se battre avec « ses pesanteurs et ses démons intérieurs ».
Sans cesse la créatrice pose et repose la question de la forme en étant contrainte aussi par le destin de ses personnages. Existe donc une lutte entre deux échelles temporelles dans chacun de ses romans. Elle les a précisées dans Pour la littérature : « le temps du récit et le temps des événements ». Ils entraînent la « nécessaire » différence entre écriture et littérature, entre présence du dehors et du dedans.
jean-paul gavard –perret
Cécile Wajsbrot, Totale éclipse, éd. Christian Bourgois, 2014.
L’auteur a aussi écrit Une Autobiographie allemande avec Hélène Cixous, même éditeur, 2016. Elle a été lauréate du Prix de l’Académie de Berlin en 2016.