Maël & Kris, Notre Amérique : “Premier mouvement — Quitter l’hiver”

 La liberté après la guerre

Quand com­mence la vie d’un indi­vidu ? Est-ce à sa nais­sance quand il pousse son pre­mier cri ? Est-ce l’aboutissement d’une suite de hasards, de ren­contres, de faits en amont, bien en amont ? C’est avec ces inter­ro­ga­tions que débute Notre Amé­rique, la nou­velle série en quatre mou­ve­ments de Maël et Kris.
Un nar­ra­teur (?), une nar­ra­trice (?) fait débu­ter son exis­tence au Mexique et, d’une cer­taine façon aux der­niers jours de 1918, le 12 novembre. C’est pen­dant la des­cente du dra­peau alle­mand, alors qu’un gradé com­mande un ultime “Saluez !” que Max, un Alsa­cien, fait le poing. Julien, un pho­to­graphe, regarde la scène, et la suite, sans inter­ve­nir. On le retrouve dans une voi­ture d’État-major qu’il a pour mis­sion de rame­ner à Paris. Max est planté sur sa route. Il s’installe et part avec lui car il connaît du monde dans la capi­tale et rien que du beau monde… Des révo­lu­tion­naires qui, après quatre ans de sépa­ra­tion pour cause de guerre, l’accueillent fraî­che­ment. Parce qu’ils ont des choses sérieuses à dis­cu­ter, Max ren­voie Julien qui, au bar, est accosté par Lise.
Le len­de­main Max sur­git dans la chambre de Lise et sort Julien du lit. Il l’entraîne à Rouen pour récu­pé­rer des armes afin de s’emparer d’un cargo et de son pré­cieux contenu. Puis, ils mettent le cap sur Ham­bourg pour por­ter la révo­lu­tion au cœur de l’Allemagne vain­cue. Mais ce bateau recèle une autre car­gai­son qui amè­nera les deux hommes, contre mau­vaise for­tune bon cœur, à abor­der au Mexique, une autre terre de révolution…

Après Notre Mère la guerre où les deux auteurs racon­taient l’enquête menée sur le front pour retrou­ver le, ou les, assas­sins de femmes, ils font débu­ter leur nou­velle intrigue au len­de­main de l’armistice. La guerre est offi­ciel­le­ment finie bien que des sol­dats conti­nuent de mou­rir. Loin des scènes de liesse habi­tuel­le­ment pré­sen­tées, qui avaient, en fait, sur­tout lieu à l’arrière, les auteurs décrivent une atmo­sphère bien dif­fé­rente.
Avec leur duo de per­son­nages, ils illus­trent deux visions, deux approches, deux vécus. Pour l’un, la démo­bi­li­sa­tion signe la pour­suite d’un enga­ge­ment dans de nou­velles actions, la reprise, qui semble para­doxale, des armes car dit-il : “…c’est peut-être le seul moyen qu’elles se taisent à tout jamais.” Pour l’autre, issu d’un milieu bour­geois, c’est la vacuité, une vacuité qui devait domi­ner pour ces sol­dats sou­dai­ne­ment libé­rés de la peur. Ils ont vécu des années durant sans se pro­je­ter plus loin que la pro­chaine attaque, le pro­chain com­bat qui sera peut-être le der­nier. Ils sont ren­dus brus­que­ment à une liberté dont ils ne savent que faire, leur ancienne vie est loin derrière.

Après “La Vieille Europe”, le scé­na­riste déplace son his­toire sur “le Nou­veau Monde” et, pour l’instant, sur le Mexique. Il évoque les liens entre­te­nus entre ce pays et l’Allemagne du Kai­ser et fait allu­sion au télé­gramme Zim­mer­mann, à cette pro­po­si­tion d’alliance pour atta­quer les États-Unis. Bien que le pays soit déchiré entre plu­sieurs fac­tions le Kai­ser n’a pas aban­donné l’idée qu’une fac­tion devienne assez puis­sante pour por­ter la guerre révo­lu­tion­naire aux Etats-Unis. En contre­par­tie, l’Allemagne pro­met­tait une aide finan­cière et la res­ti­tu­tion du Texas, du Nouveau-Mexique et de l’Arizona au Mexique per­dus lors de la guerre de 1846–1848.
Dans ce tome, Max s’impose, prend les déci­sions, entraîne un Julien qui semble flot­ter, se lais­ser por­ter par les évé­ne­ments sans cher­cher son propre par­cours. Il paraît avoir besoin de tour­ner le dos à tout ce qu’il a vécu jusqu’ici.

Maël, diplômé de Sciences Poli­tiques, s’impose parmi les signa­tures talen­tueuses de la bande des­si­née contem­po­raine par son approche sin­gu­lière et expres­sive. Son des­sin au trait fin, fra­gile, acci­denté, comme les per­son­nages qu’il met en images, est à la fois tou­chant et dyna­mique. Son tra­vail gra­phique en cou­leurs directes, res­ti­tue une ambiance tout en évo­ca­tion, avec des sen­ti­ments et des émo­tions qu’il fait paraître avec grâce.
Ce pre­mier tome, qui plante le décor, défi­nit le cadre, pré­sente les acteurs, laisse augu­rer d’une fameuse suite.

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serge per­raud

Kris (scé­na­rio) &, Maël (des­sin et cou­leurs), Notre Amé­rique, Pre­mier mou­ve­ment : “Quit­ter l’hiver”, Futu­ro­po­lis, octobre 2016, 64 p. – 16,00 €.

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