Au nom de sa vitalité, Thierry Renard ramène la mission de la poésie à un retour aux vieux poncifs. Ils répondent par leurs standards à ceux d’une gauche qui se revendique de manière univoque comme une ouverture culturelle. Se retricotent des processus intellectuels classiques peu ouverts (euphémisme) à ce qui semblerait libertin au nom d’un mythe rousseauiste mâtiné de marxisme. Le tout sous prétexte de saut qualitatif. Pour preuve, Lionel Bourg est le parrain de la revue. Et l’auteur de refuser d’emblée tout ce qui sort du beau langage et de taxer de salauds tout ceux qui se risquent à une langue « sale ». L’idéalisme a donc de beaux jours devant lui. Paré de « la conscience humaine », ’il n’y aurait donc rien à rétorquer et uniquement à suivre la ligne générale des maîtres du lieu.
Pourtant les choses ne sont pas si simples. Certes, Carole Bijou cherche à tracter le langage vers d’autres espaces. Mais sans remettre en cause les « bons sentiments ». Pour preuve, un arsenal de mots sages et qui ne mangent pas de pain, simplement remontés dans une mutation de façade. L’effet psyché suit tranquillement son cours et cultive l’illusion. Et l’imposture de l’immédiateté et de lendemains où tout pourrait changer par un goût de baguette poétique. Sont donc salués Jim Harrisson ou Alesandro Perissinotto dont le prétendu progressisme tient pour l’un du culte du vieux gourou et pour l’autre du ressasseur de techniques littéraires qui ramènent à l’école française des années 70.
Sous prétexte de flécher l’idéale hiérarchie du crucial à l’anecdotique, la revue refuse tout ce qui tient à une perte de sens et de repérage. Ce serait pour ses créateurs opter pour une sieste de la conscience, un déclin de l’existence et donc une dégénération de l’acte poétique. Celui-ci, comme jadis chez Meschonnic, ne peut se penser et se faire que par une imprégnation culturelle où la politique a une place prépondérante. La poésie n’en sort pas forcément grandie. S’y joue une similitude au passé, une réplication loin de l’inversion, du renversement, du négatif. N’est-ce pas pourtant là où toute revue qui se veut nouvelle devrait commencer ? Même une revue aussi politique que le fut « Change » (de Montel et Faye) commença à faire le ménage. A l’inverse, même ceux qui ici pourraient en représenter les héritiers (Malika Bey-Durif, Roger Dextre) restent dans une configuration certes courageuse mais passéiste au nom d’une « utopie » plus ou moins faisandée.
Existe dès lors un regret face à un engagement fait d’accoutumance, donc mal engagé. Est oublié ce que Wilfred Bion précise en parlant de Shakespeare — : “la qualité nécessaire à l’accomplissement, surtout en littérature, est la faculté négative pour l’aboutissement d’une relation parasitique entre le matériel contenu (ou plutôt non contenu) et le discours destiné à la contenir” (in “L’atttention et l’interpétation”).
jean-paul gavard-perret
Revue Rumeurs, n°1 Editions La Rumeur libre, Vénissieux, 2017, 334 p. — 21,00 €.