Milan Füst, L’histoire de ma femme

Une épouse française

Pour Milan Füst, la fic­tion est bien plus un état de fer­men­ta­tion qu’un plat pla­to­nique peu tonique. Moins sophiste que Kun­dera enclin au badi­nage phi­lo­so­phique, il ouvre son roman de la manière la plus expli­cite en don­nant voix à son nar­ra­teur de génie, le capi­taine Störr, malin génie et géant de type des Car­pates (quoique Hol­lan­dais), goinfre et poly­glotte : « Ma femme me trompe. Bon. Je m’en dou­tais depuis long­temps. Mais vrai­ment, avec celui-là… Moi, je suis haut de six pieds, un pouce, je pèse deux cents livres, je suis donc, comme on dit, un authen­tique géant : si je crache sur ce type-là, il en cla­quera ». C’est à par­tir de cette com­mu­nauté sépa­ra­trice que tout com­mence et déjà finit.
Tou­te­fois et à par­tir de là, le récit avance comme son nar­ra­teur : bruyam­ment et non sans un gro­tesque par­ti­cu­lier. Il bous­cule tout sur son pas­sage. Son flux vital met à mal jusqu’aux bonnes manières que le per­son­nage a apprises dans sa jeu­nesse. Il trouve sou­dain une manière plus libre de racon­ter ses décon­ve­nues mari­tales auprès d’une femme fran­çaise et uni­que­ment fidèle à la répu­ta­tion (sup­po­sée) de ses congé­nères : coquette, fri­vole, vaine, armée de « ses houp­pettes et de ses poudres ».

Pour se soi­gner de ses dés­illu­sions, le nar­ra­teur caresse un temps le goût de la psy­cha­na­lyse mais il pré­fère reprendre l’océan pour oublier celle en qui il cher­cha peut-être une mère et qui fina­le­ment va dis­pa­raître de la sur­face de la terre. Le livre est fort d’un carac­tère pica­resque. Mais en par­tie seule­ment car, der­rière les effets-mères, se cache une médi­ta­tion sur le sens de l’existence.
A force de spé­cu­la­tion, le héros, d’une réflexion à l’autre, convient que « le bon­heur, en vérité, est le plus grand triomphe de l’égoïsme, sa par­faite plé­ni­tude ; mais il n’est conce­vable que dans l’inconscience ». Exces­sif et violent (jusqu’au meurtre), le per­son­nage est à l’image du l’écriture qui lui donne « corps ». Son exu­bé­rance rabe­lai­sienne passe par sa séche­resse et ses  digres­sions. Elles donnent une force magné­tique au roman. Son héros contient un mythe ter­restre et océa­nique dévoré par un mythe plus fémi­nin. Existent là tout un par­cours et une tra­ver­sée. Un gouffre de sen­sa­tions aussi : la gra­vité est là mais s’y ren­verse entre image et langage.

jean-paul gavard-perret

Milan Füst, L’histoire de ma femme, tra­duit du hon­grois par Eli­sa­beth Berki et Suzanne Peu­teuil, Gal­li­mard, 2016, 504 p. — 16,50 €.

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