Comme tous les matins, Fabienne Radi déjeune en regardant le ciel. Il est très gris, mais plutôt que le noter avec son oeil de coloriste (et quoique le point compté y aide), elle préfère se concentrer sur son “vrai regard” sur les choses, les êtres et les images. Surtout les images. A travers elles, elle invente des poses qui n’ont rien d’égocentrée.
Elle se fait contemplative de divers mondes : « Une maison isolée près d’une forêt. Des étudiants scandinaves qui se baladent dans des décapotables américaines. Un paysan qui élève des moutons. Un jeune femme de médecin qui jardine en fumant des KOOLS » et Fabienne Radi afin que le compte soit bon et pour nous ravir, ajoute : « une fable rurale qui se passe dans les années 70 quelque part près de chez vous ». Ce sont là des histoires à prendre le temps de le poser.
Fabienne Radi fait de nous des contemplatifs, de ceux qu’il faut tirer par la manche pour les arracher à ce qu’ils regardent. Et quand l’auteure brode ses histoires, il convient de regarder à l’intérieur tant il y a de quoi ravir par ce qui semble un bavardage mais dont la qualité est d’être intempestif. Ce qui met à mal les fonctions phatiques du langage comme on enseigne à l’université. Ecrire, répond chez Fabienne Radi, a d’autres critères plus ludiques, jouissifs mais profonds voire « amoureux » au sens chrétien du terme (même si l’auteure pourrait bien être païenne…)
Sous la fiction se cache l’indicible en un montage et tissage qui jouent de l’impertinence comme d’une certaine bienveillance en préférant tordre les images plutôt que d’étaler des émotions en un patchwork quasi surréaliste auquel Fabienne Radi pourrait donner parfois à ce mot son sens médiéval : un écartèlement. S’y retrouve néanmoins l’unité qui le fonde : à savoir le dérapage contrôlé d’une intelligence impressionnante.
jean-paul gavard-perret
Fabienne Radi, C’est quelque chose, Editions D’Autre Part, 2017, 90 p. — 18,00 FS / 16,00 €