Fabian Gastellier reste l’une des figures les plus importantes parmi celles et ceux qui ont pour objectif de préserver la mémoire des victimes de la Shoah dans le but de tirer le monde loin de la barbarie. Elle a trouvé en Rainer Höss un allié étonnant. Né en 1965, il est un petit-fils de Rudolf Höss, commandant du camp d’extermination d’Auschwitz. Très vite, l’enfant doit se soumettre au silence imposé par sa famille eu égard au rôle que son aïeul tint au sein de l’idéologie et de la pratique nazies. Soulevant ce carcan, il voue son existence au combat contre la discrimination. Il multiplie les interventions publiques et son livre reste un témoignage original. Il montre non les victimes mais ceux qui jouxtèrent au plus près leur extermination.
S’appuyant sur les mémoires de son grand-père, Rainer Höss en cite des passages aussi « naïfs » que terribles : «Ma famille avait la belle vie à Auschwitz ». Et le Commandant de préciser : « Ma femme avait son paradis fleuri ». La brutalité « involontaire » se poursuit : « Les enfants s’épanouissaient librement et sans contraintes. Dans le jardin ils avaient toujours plein d’animaux que leur rapportaient les détenus. Tortues ou martres, chats ou lézards, le jardin offrait sans cesse d’intéressantes nouveautés». Pourtant, à deux pas, d’autres enfants étaient gazés. L’auteur rappelle que leurs cendres servaient d’engrais à cet Eden. Il évoque aussi certains mots de sa grand-mère : « Lavez bien les fraises, les enfants, à cause de la cendre ». Et l’auteur d’ajouter, lourd de cet insupportable héritage : « Parfois, je n’ai qu’une envie : hurler. »
Rainer Höss a pu transformer son cri en mots pour préserver la société de la reprise de tels crimes. Il fait rejaillir les masses obscures du passé de cette « expérience » familiale. La persistance de sa lutte veut donner une transparence à ce qui s’est passé dans le but d’appeler à un flux de vie tout en laissant perceptible ce qui se trama dans le cercle tragique de la Shoah. L’auteur témoigne afin que de son ombre abyssale surgisse l’espoir — peut-être insensé — de lumière. Donnant des preuves sur ce qui s’est passé, Rainer Höss souligne comment l’horreur n’empêchait pas certains de vivre. Et il fallut du courage d’une part pour oser préférer lorsque c’est le cas l’Histoire à sa « mère » et pour dénoncer d’autre part des procédures mentales qui permettent d’oblitérer l’horreur. L’écrivain ne veut pas que ce témoignage se perde car il est donne un angle particulier sur les camps : il jouxte l’horreur en lui donnant par contraste une force encore plus forte.
L’auteur ne cherche pas d’excuses à sa famille et il prouve que si certains de ses puis-nés en sont sortis indemnes, d’autres portent en eux le poids des bras armés qui ont fait précipiter le monde dans une profondeur abyssale. Existe là la plus grand pouvoir de la conscience afin de rappeler comment les innocents furent condamnés et sacrifiés de manière glaçante au non-temps, au non-être. Le tout sans aucune interventions morale au sein d’un système et d’une idéologie qui effaçèrent tout fonctionnement de la conscience sans la moindre inhibition.
Derrière cette expérience, la durée du monstre reste latente. C’est pourquoi ses flammes doivent être rappelées afin que l’obscurité de son sans fond soit mise en avant. Il est en effet toujours prêt à renaître sous divers avatars et présupposés. Son temps semble impérissable car lié à l’Histoire. L’auteur espère qu’il s’arrêtera avant la fin de cette dernière. Bien des doutes subsistent.
jean-paul gavard-perret
Rainer Höss, L’Héritage du commandant, traduit de l’allemand par Elisabeth Willenz, Préface de Bernhard Gotto, Editions Notes de nuit, Paris, 2017, 250 p.