La nouvelle aventure de Blake et Mortimer s’appuie sur la personnalité de William Shakespeare dont l’Angleterre a commémoré, le 23 avril 2016, les 400 ans de la mort. Yves Sente base une intrigue sur des controverses et des interrogations quant à la paternité d’une œuvre aussi talentueuse.
Alors que Blake et Mortimer assistent à la première du Marchand de Venise, à Londres, le marquis Stefano Da Spiri donne une réception en son palais de Venise. Un paquebot à la dérive vient heurter le bâtiment sans faire ni blessés, ni dégâts. Cependant, quelques minutes après l’accident, les invités entendent le son d’une cloche qui semble provenir des entrailles du palais. Tout le groupe descend, se retrouve face à une porte qui s’ouvre sur une chambre secrète où, dans une cage de verre, les attend un mannequin. Devant la cage, une lettre datée du 25 août 1632 et un manuscrit sont posés sur un lutrin. C’est l’ancêtre du marquis qui invitait les membres de sa confrérie des Joueurs de l’Esprit à découvrir la vérité sur la personnalité de William Shake-Speares, sa dualité, avec la biographie de Guillermo Da Spiri. S’ils réunissent trois clés, après trois énigmes, ils auront accès à une pièce inédite du dramaturge, au rouleau posé sur les genoux du mannequin, dans la cage piégée.
Stefano souhaiterait avoir l’avis d’un spécialiste du dramaturge. Un invité avance le nom de Sarah Summertown, présidente de la William Shakespeare Defenders Society. Son invité l’appellera dès le lendemain et le majordome du marquis lui portera les documents pour authentification. En attendant, il les range dans un tiroir de son bureau. Troublé, le marquis ne trouve pas le sommeil. Il se lève et surprend un individu qui tente de forcer son bureau. Celui-ci l’assomme et fuit. Pour mieux connaître Sarah, il feuillette un journal qui relate sa dernière aventure. Elle est en photo aux côtés du Professeur Mortimer que le marquis connaît bien. Il décide de faire appel à lui.
Commence alors, pour le héros, une course contre la montre pour traquer les indices car les amateurs de mystère sont nombreux et déterminés à arriver les premiers…
Deux courants se télescopent quand on évoque Shakespeare. D’un côté, les tenants du génie né à Stratford-upon-Avon comme l’authentique auteur de l’œuvre que l’on connaît et qui est aujourd’hui l’une des plus traduites. De l’autre, ceux qui émettent de fortes restrictions quant à la capacité du fils d’un fourreur d’avoir une telle connaissance de milieux qu’il n’a pas fréquentés, de pays qu’il n’a pas visités et possédant un vocabulaire riche, estimé entre 17 500 et 29 000 mots. Le nom, sur la couverture de l’édition de 1609 des Sonnets est orthographié avec un trait d’union. De plus, ce n’est qu’au début du XIXe siècle que l’adulation prend son essor. Jusqu’alors, il n’est pas plus considéré qu’un autre auteur de théâtre.
Yves Sente rebondit sur cette situation et construit une nouvelle théorie qui a le mérite d’être savoureuse et de tenir compte de nombre d’éléments pour répondre aux objections. Avec ses deux héros, il fait revivre l’époque des années 1950, mettant, par exemple, en scène ces bandes de voyous, les Teddys, qui firent trembler Londres. Il utilise ceux-ci cependant de façon adroite pour le cours de son intrigue. Les dialogues denses, les cartouches conséquents confèrent à ce récit la richesse d’un roman et donnent suffisamment de détails sur les différentes hypothèses qui entourent la vie du dramaturge. Celle-ci, comme pour la grande majorité des gens de cette époque, sauf à faire partie des classes dirigeantes, reste relativement secrète, avec peu d’éléments d’archives et se prête à merveille à toutes les fictions, dès lors que celles-ci sont cohérentes et construites avec habilité.
Le récit fait de nombreux allers-retours entre le XXe et le XVIIe siècle. L’action est très présente, la tension croît au fur et à mesure de la progression des différentes équipes qui sont lancées dans la course au trésor, entre le groupe des héros, les voyous du clan du colonel Olrik et ceux d’une machination testamentaire.
Le dessin d’André Juillard est, comme d’habitude, parfait. Il est aussi à l’aise pour recréer l’ambiance londonienne que vénitienne, tant à notre époque qu’à celle de Shakespeare. Il maîtrise ses personnages, s’étant approprié avec brio les incontournables de la saga, donnant cependant, aux dames, un côté plus agréable, plus féminin que ne le faisait l’illustre Jacobs.
Un album passionnant, à l’intrigue pleine de rebondissements sur un sujet tout à fait d’actualité.
feuilleter l’album: http://www.dargaud.com/bd-en-ligne/blake-mortimer-tome-24,27501-3f5116ff06764722a9ed686962b71d43
serge perraud
Yves Sente (scénario), André Juillard (dessin), Madeleine Demille (couleur), Les Aventures de Blake et Mortimer, t. 24 : “Le Testament de William S.”, Dargaud, novembre 2016, 64 p. – 15,95 €.