Pierre Voélin, De l’enfance éperdue & Sur la mort brève

L’His­toire et après

Poète fran­çais fron­ta­lier, Pierre Vie­lin vit en Suisse et reste un des oubliés de la poé­sie. Elle pos­sède pour­tant chez lui bien plus qu’une saveur : une essence d’existence qui l’éloigne de bien des paro­dies poé­tiques mon­tées en épingle. Aux construc­tions arti­fi­ciel­le­ment construites, aux méca­niques mor­ti­fères l’auteur pré­fère le silence de la mon­tagne quitte à tré­bu­cher dans sa neige quelle que soit la sai­son.
« Il n’est que de mar­cher aveugle
quit­ter la nuit osseuse
L’esprit s’ouvre à des puits de neige
Des voix disent que des mains saignent »
De leur sang sortent non des prières mais des appels.

Les deux livres publiés par Fata Mor­gana per­mettent pour l’un de redé­cou­vrir des textes désor­mais introu­vables ( Sur la mort brève,  Lierres, La nuit osseuse et Lents pas­sages de l’ombre  en « repons » à L’enfance éper­due) et pour l’autre un texte inédit vieux de trente ans en prose nar­ra­tive dont le cadre trans­forme un pay­sage mini­ma­liste et cham­pêtre en un retour au pays natal
L’œuvre n’est pas sans rap­pe­ler la poé­sie de Jim Har­ri­son. Comme chez lui, il existe de belles conver­sa­tions muettes. Elles sont autant d’appels à l’imaginaire que des manières de remettre les pieds sur terre au sein de chro­niques d’un vieil enfant « éperdu » face aux monstres qui l’habitent comme ils hantent ceux qui l’entourent. Main­te­nant comme naguère, le poète reste par­fois dans la lune mais demeure atten­tif à la marée des heures et ce qui y arrive. La mort et le sexe sont là, à cœur bat­tant mais pas dans le même rythme.

Même enfant, l’auteur n’acceptait pas d’ignorer ce qui fait l’existence. Depuis, il en remarque les dérives, les failles abys­sales tout en refu­sant de sacri­fier aux larmes. Il sait ce que cachent les mots-mensonges comme leurs silences : « Il est tard; il a tou­jours su qu’on l’attendait, comme il sait par avance les cris, les remon­trances d’une mère épui­sée. Il essuiera ses pieds, pas­sera par la cave ; avec une vieille ser­viette, se séchera vague­ment, avant de remon­ter vers la cui­sine pour y reprendre sa place autour de la table fami­liale. Nul com­men­taire de la part du nar­ra­teur ou de l’enfant. Exit le pathos. L’auteur se contente d’étudier les balafres que laissent l’Histoire per­ceuse mor­bide d’existences.
Dans une telle œuvre, le qui je suis passe sim­ple­ment par l’intelligence de savoir quoi faire. Et l’auteur accepte les êtres tels qu’ils sont cher­cher à en grat­ter les points faibles. Ren­tré dans sa chambre, il entend cou­ler le temps sans for­cé­ment contem­pler son fleuve. De peur sans doute d’y voir flot­ter les dam­nés de l’Histoire. Il sait donc regar­der le monde selon un autre angle. Celui qu’ouvre un che­mi­sier de femmes, ciel en des­sus, lit en des­sous. Sans pudeur. Sans impu­deur. A défaut de leur absence, il se fait au besoin rêveur de ses propres rêves et sait appré­cier la lumière et la cha­leur d’un foyer lorsque dehors la terre est gelée.

jean-paul gavard-perret

Pierre Voé­lin,
– De l’enfance éper­due
, 88 p.  
– Sur la mort brève,
120 p.
Des­sins pour l’un et fron­tis­pice pour l’autre de Gérard Titus-Carme,
Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2017.

Leave a Comment

Filed under Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>