Philippe Hélénon, L’expédition

Au-delà des pôles

Dans le lieu fermé du tableau, Phi­lippe Hélé­non offre un monde par­ti­cu­lier qui se dégage des notions d’abstraction ou de figu­ra­tion. Exit l’effet décor, chaque œuvre est une fenêtre où un vent de cendre déblaie les appa­rences. L’artiste épluche le réel, gratte la lumière. Il pré­fère le rugueux au gla­cis. Sur­nagent quelques marges bal­lot­tées par la matière de la pein­ture. Tout est pro­fond là où bouillonnent quelques pans de cou­leurs d’où sortent des vapeurs issues des gouffres. Des cré­neaux ou des sar­ments se tordent, mordent le fond là où par­fois l’artiste se fait le scribe de quelques paroles. De sa serre d’aigle, le pein­ture les rend pri­son­nières en prou­vant que l’art crée ce que le voca­bu­laire ignore, tant sou­vent der­rière sa laisse il n’y a pas de chien.

Pour lire le monde, il faut la bruyère aride d’une pein­ture qui se courbe vers la terre mais qui par­fois s’envole. Un simple bâton écorche, patrouille voire « gidouille » comme disait Jarry. Sans appâts, l’œuvre pos­sède plus une grâce qu’un simple talent. Et il est regret­table qu’un tel peintre demeure si méconnu. Il se peut que la séche­resse de l’œuvre rebute. Elle se refuse à res­ter le colo­riage de doc­trines spé­cieuses, elle revient aux racines de la pein­ture, fouille vers le centre de la terre pour qu’en jaillisse un souffle là où les fan­tômes passent dans la chair de la matière.
Daniel Bour­don per­met de faire com­prendre poé­ti­que­ment le repli et le ren­ver­se­ment des che­mins sui­vis par l’artiste. Entre la mys­tique et la « tri­via­lité posi­tive » (Bau­de­laire), Hélé­non reste à la recherche de l’image per­due, for­cé­ment ambi­guë, énig­ma­tique et qui n’est jamais plus près des choses que lorsqu’elle s’en échappe. C’est pour­quoi tout tient ici par l’insistante maté­ria­lité de la matière, le jeu de l’espace, leur ten­sion entre repré­sen­ta­tion et effa­ce­ment là où tout dif­fère en une forme d’excavation qui donne l’éternité à la peinture.

jean-paul gavard-perret

Phi­lippe Hélé­non, L’expédition, texte de Daniel Bour­don, Fata Mor­gana, 2016.

L’artiste a aussi illus­tré Sept pro­pos sur le sep­tième ange de Michel Fou­cault, 2016 (même éditeur)

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