Patrice Luchet voudrait sans doute se rapprocher de l’école de New York (dont le Paterson de James Jarmusch a donné récemment une illustration sonore). Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Adepte des lectures et performances, l’auteur publie peu. Le Sort du parasol est donc un livre rare dont le rapport au langage se voudrait essentiell mais dont le lecteur pourrait se passer tant ce rapport est restrictif. Mais en dépit de la forme même du livre, on est loin d’une géométrie algébrique.
Une suite de sonnets aux vers irréguliers mais minutés témoigne d’actions horodatées, de micro-récits que certains critiques rapprochent de Charles Reznikoff et Félix Fénéon. Voire… La valeur poétique est banale, au ras des galets ou du sable. Tout se déroule en 24 heures dans une station balnéaire. Un poème couvre chaque heure mais pas en totalité. L’auteur n’en retient que quelques minutes gorgées de ce que la langue italienne nomme les « nonulle » : un chien traverse la route, un parasol est mal planté, feu d’artifice : routine que routine ou presque. Cela se veut à la mode ou à la Delerm. Dans l’évocation de ces instantanés, certains trouvent de quoi honorer la profondeur sous prétexte que l’auteur écrit « 08h04 le plein pour s’effacer », « 10h02 conserver le sensible »… C’est au mieux prétentieux, au pire pas grand chose. Demeurent des « crash » indigents.
Mais il est vrai que le rien cache l’ignorance et permet de faire croire que les mots quelconques, les incidents quotidiens mettent le cap sur des arrière-pensées et les silences. Sous prétexte de créer la profondeur, le poème creuse des abîmes dans ce qui devient un prêt à penser peu.
Tout tient du gargarisme en cette proxémie entre chair vivante et viande froide, ce memento mori anecdotique.
Preuve que dans cette station balnéaire ne se mangent pas seulement des mollusques : ils s’écrivent. Asséchant la mer ou le lac des signes, le poème devient une signalétique pour baigneurs. Rhabillés, ils peuvent se passer de déguster une pâtisserie chiche à la crème insipide. Sauf s’ils veulent être tenus pour les amateurs éclairés d’une poétique du volatil(e) prise par certain pour le nouveau costume du minimalisme intégral. Nue, cette poésie ne peut donner que ce qu’elle a. C’est-à-dire ce qui tombe un peu comme un poil dans le paysage.
jean-paul gavard-perret
Patrice Luchet, Le Sort du parasol, Editions série discrète, 2016, 56 p.