Jacques Rancière, Figures de l’histoire

Figurerons-nous dans l’histoire ?

Rancière, c’est une voix. Une conscience. Une œuvre tra­jec­toire, toute droite, à par­tir de cette idée, si simple et si féconde, que le peuple pense. Ce prin­cipe est indis­so­lu­ble­ment poli­tique et esthé­tique, puisqu’il y va tou­jours d’un par­tage du sen­sible.
Dans L’inoubliable  et Sens et figures de l’histoire, les deux essais d’abord écrits pour une expo­si­tion, et aujourd’hui repris pour leur inté­rêt propre, Ran­cière ques­tionne ainsi le grand par­tage qu’effectuent nos images, entre ce qui figure dans l’histoire, et ce qui peine à y figu­rer. Com­ment, par delà les conven­tions de la pein­ture, les grands de ce monde et le peuple des obs­curs figurent-ils dans ces images nais­santes de la pho­to­gra­phie et du cinéma ? Y a-t-il une objec­ti­vité de cet « objec­tif » qui semble les pla­cer à éga­lité dans ce par­tage de la lumière qu’instaure la pho­to­gra­phie ? Ou bien l’objectif est-il un agent double, à la fois sou­mis au pho­to­graphe qui l’utilise, et au sujet qui com­mande le cli­ché ?Com­ment ces images neuves construisent-elles le temps ? Sont-elles cap­ture de pré­sents, ou écri­ture de pas­sés, en vue d’usages à venir ? Dans quels agen­ce­ments, quelles mises en scène, nous donnent-elles à lire leurs arrières-pensées ? Ran­cière ouvre tran­quille­ment ques­tion ver­ti­gi­neuse : « que pense une image ? »

Car si l’image ne peut écrire une his­toire sans écrire l’histoire, c’est toute une poli­tique du silence qui s’ouvre, et qu’il faut bien pen­ser. Com­ment don­ner à voir et à entendre ceux qui n’ont pas eu de place, qui n’ont jamais eu la parole, ou même ceux que l’on a fait dis­pa­raître ? La ques­tion cru­ciale de la visi­bi­lité du peuple va donc jusqu’à celle de la repré­sen­ta­tion de la shoah. Car cet impos­sible est un devoir, que l’art peut assu­mer. L’art, et lui seul, peut digne­ment rendre sen­sible l’inhumain, par l’inhumanité de la beauté. Car il rejoue, dans l’histoire comme dans ses images, ce grand par­tage du visible et de l’invisible qui est au fond celui de l’être et du non-être.

jean-paul gali­bert

Jacques Ran­cière, Figures de l’histoire, P.U.F, aout 2012, 88 p. — 10,00 €.

3 Comments

Filed under Essais / Documents / Biographies, Non classé

3 Responses to Jacques Rancière, Figures de l’histoire

  1. Pingback: Figurerons-nous dans l’histoire ? « Jean-Paul Galibert

  2. Pascal Rousse

    Très bien !

    Ran­cière semble ici rejoindre Georges Didi-Humerman sur le der­nier point. On pour­rait aussi pen­ser aux essais d’Imre Ker­tesz à ce sujet…

    Je ne par­tage pas tou­jours les ana­lyses de Ran­cière sur cer­tains de ses exemples, notam­ment Eisen­stein, mais le fil conduc­teur de sa pen­sée et la ques­tion du par­tage du sen­sible sont indé­nia­ble­ment incontournables !

  3. Pascal Rousse

    Par­don : Georges Didi-HuBerman !

Répondre à Pascal Rousse Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>