Romain Langlois, L’empreinte du geste (exposition)

Folie du croire, folie du voir

Romain Lan­glois a « logi­que­ment » glissé du design et de l’architecture afin de tra­vailler la matière par la sculp­ture. Pour évi­ter de se conten­ter d’y bal­bu­tier, il a entamé un tra­vail tita­nesque de docu­men­ta­tion tech­nique, passa (mais vite) par les arts déco de Stras­bourg, ren­con­tra des maîtres et s’obligea à un tra­vail de mise en route en façon­nant un grand nombre de pièces en terre.
Peu à peu, il s’est fami­lia­risé avec toutes les matières, leurs pos­si­bi­li­tés et leur aspect. Devenu expert en tech­niques de réa­li­sa­tion il est passé d’une sculp­ture figu­rale et nar­ra­tive via la figu­ra­tion humaine vers un tra­vail de la matière pour elle-même en uti­li­sant jusqu’au bois et aux roches pour deve­nir un maître de l’hybridation. Mais il uti­lise avant tout la matière pre­mière de la sculp­ture (le bronze) pour la méta­mor­pho­ser par effet de patine et de volume en bois, pierre, or liquide.

Le bronze n’est donc jamais donné comme tel. Il se trans­forme en matière « plas­tique » afin de créer un leurre qui ren­voie au doute que le regar­deur peut por­ter sur les choses et le monde. Ainsi ce que Beckett nomme le « mal vu » se modi­fie non en mieux vu mais en jamais perçu jusque là. Le but impli­cite est de remettre en cause la condi­tion même de ce que Ber­ke­ley énon­çait avec son « esse est per­cipi » : « être c’est être perçu ». Romain Lan­glois prouve que la per­cep­tion est beau­coup plus com­plexe qu’on ne le croit et que la for­mule ber­ke­leyenne pose autant de pro­blèmes que le « je pense donc je suis » de Des­cartes.
En pro­vo­quant la sidé­ra­tion pre­mière qui s’empare du regar­deur face à ses pièces, l’artiste l’entraîne vers un abîme du regard. Son tra­vail expres­sion­niste pousse donc bien plus avant ce qu’un Bran­cusi (pour la qua­lité des formes) ou ce qu’un Ciesla (pour le jeu des matières) ont créé. Jouant autant d’une forme d’abstraction que de figu­ra­tion (concepts qu’il ren­verse), l’artiste crée de véri­tables « han­tises ». La matière semble aussi fluc­tuante que rigide.

Piégé, le spec­ta­teur croît d’abord pou­voir se réfu­gier dans l’œuvre avant de com­prendre qu’il tombe dans une chausse-trappe sans pour autant cou­rir le risque de la dévo­ra­tion. Car si la fas­ci­na­tion existe, elle n’invite à aucun sacri­fice mais à une remise en cause. Le regar­deur peut décou­vrir une autre façon de voir et — qui sait ? — échap­per à ses pen­sées culs-de-sac.

jean-paul gavard-perret

Romain Lan­glois,  L’empreinte du geste, Musée des Arts déco­ra­tifs, Paris, 2016.

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