L.C. Tyler, Étrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage

La vir­tuo­sité dans l’art de manier le suspense

Un couple d’enquêteurs bien assorti est essen­tiel pour un polar réussi. Avec Ethel­red et Elsie, L.C. Tyler com­pose un duo aty­pique. Il met en scène un roman­cier sans illu­sions sur son talent : J’ai appris depuis bien long­temps à me pas­ser des louanges et de l’admiration des gens. Il est intro­verti et se laisse mener par les cir­cons­tances. Il est asso­cié à une pétu­lante demoi­selle qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui pousse, avec viru­lence sou­vent, son équi­pier à agir, quand elle ne le fait pas elle-même. La réunion de ces deux pro­ta­go­nistes, aux carac­tères dis­sem­blables, com­pose un couple aux réac­tions éton­nantes, amu­santes, cocasses et diversifiées.

Ethel­red Tres­si­der est un écri­vain, auteur de romans poli­ciers et sen­ti­men­taux sous trois pseu­do­nymes. Il a pour agent Melle Elsie Thir­ket­tle, une petite dame replète, aux goûts ves­ti­men­taires excen­triques, qui méprise les auteurs. Ethel­red rentre d’un voyage docu­men­taire en France, au bord de la Loire. Elsie est chez lui et le presse d’écrire une nou­velle inves­ti­ga­tion de Fair­fax, un ins­pec­teur vieillis­sant. Ses enquêtes ren­contrent un assez bon suc­cès. Un poli­cier vient lui annon­cer qu’il a tout lieu de pen­ser que Géral­dine, l’ex-épouse d’Ethelred, s’est sui­ci­dée. Sa voi­ture, louée, est aban­don­née sur un par­king. Elle contient une lettre aux termes qui semblent sans équi­voques comme : « Adieu, monde cruel, etc. »
Elsie l’exhorte à mener sa propre enquête. N’est-ce pas le moins que puisse faire un auteur de polars ! Peu après, il reçoit la visite de Rup­pert, un ex-ami qui lui a « volé » Géral­dine. Celle-ci l’a quitté depuis. Mais, récem­ment, pour une juteuse affaire, elle lui avait emprunté deux cent mille livres, le reste de sa for­tune. Un corps est alors décou­vert dans les ruines d’un châ­teau proche du domi­cile d’Ethelred. Poussé par Elsie, omni­pré­sente, il cherche à com­prendre le par­cours de son ex-épouse, ses moti­va­tions. Il s’aperçoit que Géral­dine escro­quait ses sem­blables. Quand la police relève ses empreintes, sur la lettre d’adieu de Géral­dine, Ethel­red donne une expli­ca­tion plau­sible. Cepen­dant, les deux limiers ne sont pas au bout de leurs sur­prises. L’argent, « recueilli » par Géral­dine, a été déposé sur un compte suisse, mais vidé, en espèces, le len­de­main de sa mort…

Lauteur anime son couple de héros avec beau­coup d’humour, un humour sub­til, débridé, léger qui, cepen­dant, tourne au noir quand les cir­cons­tances l’exigent. Il imprègne tout le roman d’observations déca­lées, de situa­tions dro­la­tiques, de dia­logues à l’emporte-pièce. Il lance ses per­son­nages dans des digres­sions déso­pi­lantes, pleines de bon sens et de per­ti­nentes remarques. L.C. Tyler choi­sit avec soin ses débuts de cha­pitre, place des phrases chocs qui inter­pellent et intro­duisent le ton du récit qui suit. Ainsi, on trouve : Il y a une dif­fé­rence majeure entre la fic­tion et la vraie vie. La fic­tion doit être cré­dible.  ou Il plut pen­dant la majeure par­tie de la semaine sui­vante, après quoi, il conti­nua encore à pleu­voir.  Il intro­duit deux nar­ra­teurs et trois niveaux de récit, leur fai­sant décrire les situa­tions iden­tiques selon leur point de vue. C’est pas­sion­nant et si réa­liste. Il fait inter­ve­nir éga­le­ment Fair­fax, le héros de romans d’Ethelred.

Paral­lè­le­ment, il brosse des por­traits remar­quables de jus­tesse, avec une finesse d’analyse révé­lant une connais­sance appro­fon­die de ses contem­po­rains, de leurs tra­vers, de leurs bas­sesses. Il uti­lise ses rap­ports à l’écriture en tant que roman­cier du pré­sent livre et écri­vain dans son roman, les appli­quant à son per­son­nage cen­tral, ses rap­ports avec son propre héros par un jeu de pou­pées russes. Il détaille ce qu’il aime trou­ver dans un livre, ce qu’il n’écrit pas dans ses romans. C’est un second degré dro­la­tique.
Mais il concocte aussi une intrigue par­ti­cu­liè­re­ment riche en coups de théâtre, mul­ti­pliant les rebon­dis­se­ments. L’éditeur com­pare ce roman au Limier, un film de Joseph L. Man­kie­wicz, scé­na­risé par Anthony Shaf­fer à par­tir de sa pièce. Il est vrai que dans la suc­ces­sion des évé­ne­ments on se rap­proche de ce monu­ment de vir­tuo­sité dans l’art de manier le sus­pense, la noir­ceur et la cruauté en moins.

Étrange sui­cide dans une Fiat rouge à faible kilo­mé­trage (The Her­ring Seller’s Appren­tice) est un « Who­du­nit » de la plus belle eau, un roman à décou­vrir abso­lu­ment pour son intrigue et l’humour qui s’en dégage. Une bonne nou­velle : L.C. Tyler a donné une suite puisque la qua­trième enquête de ce duo de choc est parue, en juillet 2011 dans le monde anglo-saxon.

 serge per­raud

L.C. Tyler, Étrange sui­cide dans une Fiat rouge à faible kilo­mé­trage, tra­duit de l’anglais par Julie Sibony, Sona­tine Édi­tions, sep­tembre 2012, 240 P. – 16,20 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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