Les deux nouveaux livres de Paul Badin sont bien différents même si chacun à sa manière balise le temps. Suite nordique est un journal de voyage, Poèmes à l’étroit, de morceaux de vie et de mémoires. L’écriture y est très différente. Dans le premier, le poème est une structure complexe où chaque paragraphe se dégrafe en diverses sous-couches comme si chaque harmonique s’enrichissait de secondes et de tierces là où tout tangue volontairement entre les trouées lumineuses du ciel et les nuages plombés dans la mer.
Naissent de chaque moment du voyage des présences autant délicates que fortes improbables et réelles. L’artiste les capte au fil des jours et des rencontres dans le but de créer une poétique très précise. Elle décale la « réalité » selon une liberté qui n’a rien de gratuite.
Les glissements opérés dans Poèmes à étroit (les «volontairement » sans doute mal nommés) font qu’une autre réalité apparaît. Moins exotique ou de manière différente, puisqu’il existe là un voyage dans le temps proche ou plus reculé. Tout glisse de l’évidence au secret, du secret à l’évidence là où “sur la grande page blanche de l’oubli d’autres icebergs perdus sortent de l’ombre”. Cette déambulation ramène vers des expériences connues-inconnues là où le dessein humain est confronté aux données immédiates de la vie mais comme à ses échos plus lointains.
Chaque livre joue de l’à-peine, de l’épars au sein d’une musicalité minimaliste, aérienne qui recompose d’incessants échos et des chevauchements de fragments. Le déphasage de la composition crée une métamorphose de ce qui passe habituellement par l’opulence et la masse des écrits. Les êtres qui apparaissent n’ont pourtant rien de spectres : ils restent des humains. De la « ruche d’Hippocrate » à l’établi du grand-père.
jean-paul gavard-perret
Paul Badin, Suite nordique & Poèmes à l’étroit, Encres Vives, Colomiers, 2016, chacun 6,10 €.