Philippe Azoury, Jim Jarmusch, une autre allure

“Je qui ça ?” (Beckett)

Le cri­tique Phi­lippe Azoury a déjà publié chez Capricci deux livres majeurs :  À Wer­ner Schroe­ter, qui n’avait pas peur de la mort  et Phi­lippe Gar­rel, en sub­stance . Il réus­sit la passe de trois avec  Jim Jar­musch, une autre allure. Ses films sont pour lui des œuvres essen­tielles et intem­po­relles : « Trente ans après, je n’entends pas en res­sor­tir. J’ai là des rues, de l’oxygène, des cadres larges et ven­teux, je peux mar­cher la nuit, ça zone, ça tombe en ruine, la musique est par­faite, les gens sont habi­tés par quelque chose, il y a des livres qui traînent et ils sont sou­vent de ceux que je recherche. » écrit-il. Chaque film est en effet une fabrique du secret là où le temps semble n’avoir plus de prise même s’il est tou­jours saisi dans une marche for­cée comme dans Dead Man  par exemple. Un peu moins dans ses der­niers films. Même si son nou­veau  Pater­son  remet la mise en jeu quoique sur un mode plus dou­ce­reux.
Fils d’une mère cri­tique de cinéma dans un jour­nal de l’Ohio, Jim Jar­musch est tombé dès l’enfance dans les images. Il s’affirme très tôt comme ciné­phile et démé­nage pour New York à l’âge de 17 ans où il étu­die la lit­té­ra­ture à l’université de Colum­bia. Un an plus tard, il part à Paris et y passe le plus clair de son temps à la Ciné­ma­thèque. De retour à New York, il s’essaie à la musique et à la poé­sie avant de s’inscrire dans la sec­tion cinéma de la New York Uni­ver­sity. Son film de fin d’études, Per­ma­nent Vaca­tion, est remar­qué et lui per­met de tour­ner son pre­mier long métrage, Stran­ger than Para­dise, qu’aident à finan­cer des cinéastes dont notam­ment Wim Wen­ders dont il est l’assistant sur Nick’s Movie. Son film devient la grande révé­la­tion du cinéma indé­pen­dant amé­ri­cain de 1984 et obtient la Caméra d’Or au Fes­ti­val de Cannes où le réa­li­sa­teur revient deux ans après avec Down by Law.

Le cinéaste y révèle deux traits qui mar­que­ront ses films à venir : un inté­rêt pour la confron­ta­tion des cultures, le décou­page en diverses his­toires et une pas­sion pour la musique — le réa­li­sa­teur fai­sant jouer John Lurie et Tom Waits. Ama­teur de rock, Jar­musch sui­vra d’ailleurs Neil Young en tour­née, avec Year of the Horse, sorte de repor­tage sur une des tour­nées mythiques d’un musi­cien qui réap­pa­raît pour la bande son de Dead Man, son plus beau film. Il y revi­site le wes­tern dans une superbe pho­to­gra­phie noir et blanc aux sons des gui­tares de Neil Young. Voyage ini­tia­tique vers la mort, le film pré­fi­gure son long métrage sui­vant, Ghost Dog : la voie du samou­raï dans lequel le réa­li­sa­teur retra­vaille les films de samou­raïs et le mythe de la mafia à tra­vers le por­trait d’un tueur à gages aux méthodes très tra­di­tion­nelles mais en com­plet déca­lage avec le monde qui l’entoure.
Azoury rap­pelle com­bien le cinéma de Jar­musch est ouvert. Peu importe le for­mat pour lui : il n’a jamais d’idées pré­con­çues et ne fait pas des films pour un public par­ti­cu­lier, le mar­ke­ting ne l’intéresse pas. Fan de Sofia Cop­pola (pour lui Vir­gin Sui­cide et Lost in Trans­la­tion repré­sentent des œuvres majeures), il se veut libre de faire ce qu’il veut. Ses che­veux blancs, la ciga­rette per­pé­tuel­le­ment au bec, un pro­fil bas cal­culé en font une sorte de dandy décalé, faus­se­ment déta­ché, non­cha­lant, cultivé, poète, auteur et réa­li­sa­teur dont l’esprit s’évade pour don­ner nais­sance à un uni­vers ico­no­gra­phique beau, triste, drôle, magique, déses­péré et âpre. Et où la musique garde — actrice ou toile de fond — un rôle essentiel.

jean-paul gavard-perret

Phi­lippe Azoury,  Jim Jar­musch, une autre allure , Capricci, Paris, 2017, 112 p. — 8,95 €.
Expo­si­tion consa­crée à Jim Jar­musch au cinéma Gale­ries de Bruxelles, du 24 novembre 2016 au 12 février 2017.

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