Andréa H. Japp, La malédiction de Gabrielle — t.2 : À l’ombre du diable

Et si la peste n’était pas le mal le plus effrayant

À la fin de l’année 1347, la Grande Peste débarque à Mar­seille. Le fléau se répand rapi­de­ment et touche Paris dès le mois d’août 1348. Gabrielle d’Aurilly était une jeune fille rêveuse, de belle noblesse pro­vin­ciale mais désar­gen­tée. Elle a épousé Henri, un jeune homme paré, à ses yeux, de tous les dons d’un prince char­mant. Il l’a emme­née à Paris au pré­texte qu’elle aura une meilleure matrone pour accou­cher. Il embauche Ade­line Musard qui n’est pas la plus com­pé­tente en la matière mais qui est peu chère. Mais il a tant de tra­vail qu’il n’est jamais près de son épouse. C’est en le cher­chant qu’elle apprend la vérité. Henri est un joueur invé­téré qui passe ses jours et ses nuits à satis­faire son vice, dépen­sant les quelques sous qu’il escroque ou qu’il peut gagner. Celui-ci, pen­dant ce temps, tente de vendre un dip­tyque gagné à un apo­thi­caire.
La peste sévit et après bien des ava­tars (fausse-couche, conta­mi­na­tion, immu­ni­sa­tion…), Gabrielle et Ade­line quittent Paris pour se réfu­gier dans la demeure conju­gale de Jouy-en-Josas, la pre­mière en empor­tant le dip­tyque qu’elle a pu sub­sti­tuer à son époux. Une mau­vaise sur­prise l’attend. Henri a mon­nayé tous les meubles et la mai­son est en vente. Pour gar­der un toit, la jeune femme ment au notaire, affir­mant qu’elle est enceinte, qu’Henri est mort et que la mai­son, donc, revient à son futur enfant. Mais l’apparition de ce dip­tyque, qui a déjà occa­sionné bien des déboires à ceux qui le pos­sé­daient, attise l’intérêt et nom­breux sont ceux qui se mettent en tête de le récu­pé­rer pour eux-mêmes ou sur ordre. Il en est ainsi de l’apothicaire, du cha­noine cou­sin d’Henri et de l’intrigant Urbano Graco, un ancien domi­ni­cain dont on ignore le man­da­taire mais qui trace une piste san­glante, n’hésitant pas à tuer avec férocité.

Gabrielle, une “oie blanche” est contrainte, par les cir­cons­tances, à évo­luer et à faire face à une adver­sité pour le moins char­gée. Avec l’appui d’Adeline, qui a dû depuis long­temps gou­ver­ner sa vie, elle se révèle farouche et redou­table. Ainsi, elle va men­tir effron­té­ment, dis­si­mu­ler, s’opposer à la volonté des hommes, se muer en cam­brio­leuse pour pro­té­ger sa vie et se retrou­ver aux pre­mières places, tout près des grands du royaume. Elle fait front avec déter­mi­na­tion aux tra­hi­sons, aux menaces, à la mala­die et aux mys­tères qui entourent ce dip­tyque de gros­sière fac­ture. Que cache-t-il ? Que peut-il révé­ler de si impor­tant pour qu’on n’hésite pas à tuer pour se l’approprier. La malé­dic­tion de Gabrielle n’est-elle pas la malé­dic­tion atta­chée à cette œuvre ?
L’intrigue se déroule en Île-de-France, lorsque la ter­rible épi­dé­mie de peste du XIVe siècle touche la région. La roman­cière raconte, dans une post­face éru­dite, que son inté­rêt pour cette pan­dé­mie date de 1987, lorsqu’elle se pré­pa­rait à des épreuves de bac­té­rio­lo­gie qu’elle devait pas­ser. L’histoire de cette pan­dé­mie est trou­blante et sus­cite plu­sieurs théo­ries qui s’affrontent sur la nature exacte de ce fléau de Dieu. La ques­tion, aujourd’hui, reste en sus­pens et l’interrogation sub­siste entre peste bubo­nique, peste pul­mo­naire et/ou agent viral de type Ébola. Cepen­dant, la plus convain­cante selon l’auteur, consiste en la pro­pa­ga­tion de pestes évo­lu­tives accom­pa­gnées d’autres agents infec­tieux. Il res­sort, mal­gré tout, que cette pan­dé­mie, qui a sévit de 1346 à 1353, a anéanti 30 à 60 % de la popu­la­tion euro­péenne et qu’environ 7 mil­lions de Fran­çais sur 17 mou­rurent. Ima­gi­nons de tels chiffres aujourd’hui pour mesu­rer la ter­reur qui s’installa.

Dans ses séries, Andréa H. Japp fait œuvre de roman­cière avec une intrigue cise­lée, aux nom­breux res­sorts, à la pro­gres­sion impla­cable. Elle fait œuvre d’historienne, éclai­rant les sources et les liens entre les évé­ne­ments, dépei­gnant l’ambiance de la période où elle place son récit. Elle fait œuvre de lin­guiste don­nant, pour les mots anciens qu’elle uti­lise dans son roman, leur ori­gine, leur racine, le sens qu’ils avaient à l’époque par rap­port à celui qu’ils ont aujourd’hui.
Avec À l’ombre du diable, le second volet de La malé­dic­tion de Gabrielle, elle ne déroge pas à sa règle et signe un magni­fique roman à l’intrigue en ten­sion, aux per­son­nages super­be­ment cam­pés et aux apports his­to­riques passionnants.

serge per­raud

Andréa H. Japp, La malé­dic­tion de Gabrielle, t.2 “À l’ombre du diable”, Flam­ma­rion, novembre 2016, 368 p. – 21,00 €.

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